mercredi 22 juillet 2015

Ali Redjimi, Dans l’ombre de Taoufik Makhloufi


Peu nombreux sont ceux qui connaissent Ali Redjimi, un parmi les milliers éducateurs sportifs qui hantent comme des zombies les scènes de leur passion, les pistes d’athlétisme et les parcours de cross country.  Une activité qui s’apparente au plus grand crime qui puisse être commis dans un univers où n’existe plus que la passion matérialiste, celle qui se compte en billets de banque (dinars, dollars ou euros) ou en billets d’avion et prises en charge dans des hôtels luxueux, et au sein duquel le fonctionnariat est le crédo.
Ali Redjimi fait partie de ces criminels qui osent encore faire connaitre la course à pied, qui en encourage la pratique qui font partager à leurs jeunes poulains (ayant l’âge de leurs enfants ou de leurs petits enfants) le plaisir de courir, dans la boue des champs et des forêts, lorsqu’ils ont débuté leur sacerdoce,  et aujourd’hui dans les rues bitumées des villes et des villages de l’Algérie profonde. Un criminel sans grand diplôme qui se distingue des autres par l’œil perçant et discriminant du découvreur de potentiels et par le savoir et l’intelligence des pionniers.
Un inconnu du grand public qui n’est pas précédé par une réputation d’explorateur des coulisses et de squatteur des hauts lieux du mouvement sportif national que sont les ligues, les fédérations ou le ministère et surtout n’y fait pas carrière. Un inconnu aussi des médias les plus réputés du pays qui, pourtant depuis quelques années, se délectent des performances et des ratés du jeune talent sportif qu’il découvrit et tailla, comme aurait fait un diamantaire d’un diamant brut pour lui donner tout son éclat, jusqu’à le hisser sur le podium des Jeux Olympiques.
Ali Redjimi est le découvreur et le formateur de ce gamin descendant des numides de Souk Ahras, à portée de mains de la Tunisie voisine dont elle n’est séparée que par un oued, qu’est Taoufik Makhloufi, le dernier des champions olympiques algériens du demi-fond, le successeur de Nouredinne Morceli auquel il vient de ravir le record national du 1 000 mètres.
Ali Redjimi appartient à la race des humbles entraîneurs d’athlétisme (fort nombreux heureusement) dont on ne reconnait pas (malheureusement) la qualité et les compétences et que l’on dénigre pour une soi-disant absence de sens de la communication qui serait, en ces milieux où une vénération devrait leur être portée, la qualité que l’on doit affuter fréquemment à la meule pour bien figurer dans les salons. Pourtant, Ali Redjimi possède une autre facette du sens de la communication qui le met à la portée de ces gamins et gamines que les ténors de la discipline vont d’abord récupérer puis utiliser pour se faire bien voir et ensuite grimper les échelons de la hiérarchie dans une opération de marketing à moindre goût et à moindre effort.
Ali Redjimi appartient à ce groupe d’individus qui passe le temps, invisible aux yeux des autres, de ceux qui font et défont le monde de l’athlétisme et se confondent avec le système. Il a acquis pourtant ces derniers jours un peu de notoriété depuis qu’un entraîneur étranger salue avec respect son œuvre.
En quelques mots sincères et empreints de simplicité, Philippe Dupont, coach de Taoufik Makhloufi depuis le printemps, après avoir déclaré son respect, lui reconnait d’abord la qualité de bien connaitre Taoufik « depuis tout jeune », dit-il, et ensuite salue son niveau de compétence car, affirme-t-il, « ce n’est pas un hasard s’il a réussi à faire 3’30 avec lui ». Une déclaration qui attribue à l’entraîneur une part de la notoriété acquise par Taoufik Makhloufi. Le passage de témoin entre Redjimi et Dupont s’est faite, selon ce dernier, "progressivement" dans un processus de transition basée sur une relation qui  "doit être durable. On se fait  confiance totalement". Avec Dupont, le passé n’est pas effacé. Le présent de la collaboration (championnat du monde de Pékin, août 2015), le proche avenir (jeux olympiques de Rio 2016), sur fond de titres et de médailles, enfoncent leurs racines dans la connaissance de ce passé que maîtrise mieux que quiconque sans doute Redjimi.
Très peu d’informations ont circulé sur la relation entre le champion olympique et l’entraîneur de ses débuts, Ali Redjimi. Ce que l’on sait se construit petitement à partir des reportages qui ont été consacrés à Taoufik Makhloufi et aux déclarations qu’il a pu faire à des moments cruciaux de sa carrière. Le technicien supérieur des sports l’a entraîné à partir de 2003 alors que le jeune Taoufik découvrait l’athlétisme dans la catégorie "minimes" au sein de la section d’athlétisme de l’association sportive de la protection civile de Souk Ahras. Un apprentissage de la course à pied dans des conditions parfois difficiles, comme celle de s’entraîner sur le bord de la route à la lumière des phares de la voiture de l’entraîneur en dépit du souhait de son père de le voir privilégier la poursuite des études.
On sait aussi qu’en 2008, Ali Redjimi, pour permettre à son athlète au talent prometteur de poursuivre sa progression (Taoufik venait de remporter ses premiers titres nationaux et d’honores ses premières sélections en équipe nationale jeunes), l’orienta vers ce grand club de la capitale, placé sous le parrainage de la Sonatrach - le Groupement sportif des pétroliers (l’ex-MCA) disposant de moyens matériels et financiers plus conséquents que ceux de l’ASPCSA - et la direction d’entrainement d’Amar Brahmia avec lequel le futur champion olympique progressa jusqu’à atteindre le niveau continental aussi bien sur 800 mètres que sur le 1 500.
Trois années plus tard, en plein été 2011, après une participation peu glorieuse aux championnats du monde, Makhloufi pris la décision de quitter le GSP et Brahmia. Ce divorce à l’amiable (après un titre africain et à l’approche des J.O) n’a pas été expliqué.
Plus tard, après qu’il se soit séparé de Djamaa Adem, Makhloufi exprima une opinion dépourvue de fioritures,  "avant tout je dois dire qu’en athlétisme, un athlète doit être tranquille et serein avec lui-même" et il explique que parfois, pour parvenir à cet état d’esprit qui permet les grandes réussites "il doit changer d’environnement et même d’entraîneur à la recherche d’une meilleure prise en charge". Il précisa ensuite qu’il s’entendait très bien avec son ancien coach (Djamaa) avec lequel, ajouta-t-il, "j’entretiens de très bonnes relations".
Pendant quelques temps, il s’entraîna seul avant de revenir (pour un entrainement par correspondance) auprès de Redjimi, à la fin de la période hivernale (février- début mai 2012) et rejoindre en mai 2012, quelques 3 mois avant les jeux olympiques de Londres, le groupe d’entrainement de Djamaa Adem. 
Après la parenthèse Djamaa, Makhloufi revint se placer sous la direction de Redjimi. En mai 2014, Il expliqua ce choix par la difficulté à trouver des entraîneurs étrangers avec lesquels il puisse s’entendre. Confrontés entre les exigences de ces derniers et l’utilisation des moyens de bord (il dit à ce sujet  "moi je me contente d’exploiter ce que j’ai à ma disposition ") et une philosophie qui fait que "l’entraîneur n’est qu’un moyen et que l’essentiel reste les capacités de l’athlète" illustrant fort bien le rôle quasi secondaire (utilitaire, pourrions nous dire) qu’il accorde à l’entraîneur, Makhloufi s’est décidé à "prendre celui qui m’a découvert pour travailler avec lui ". Toutefois, ce choix n’est pas un pis-aller. Makhloufi dit de Redjimi "qu’il dispose des grandes qualités et qu’il n’a rien à envier aux étrangers".
Mais, au final, ce qui aurait fait pencher, à ce moment-là, le fléau de la balance, c’est également une forme de reconnaissance, de gratitude née du fait que "dans les moments difficiles j’avais toujours fais appel à lui et il a toujours répondu présent par ses conseils qui m’ont été d’une grande utilité ".
Cette reconstruction historique laborieuse pourrait être une possible explication à l’entêtement dont le nouveau recordman national du 1 000 mètres fit preuve dans la confrontation très polémique qu’il eut au début de la préparation hivernale 2014-2015.  Certaines sources laissent entendre que Makhloufi considérant, envers et contre tous, qu’Ali Redjimi (bien que ne répondant pas aux critères administratifs) était l’entraîneur qui devait l’accompagner aux Etats Unis, s’opposa fermement à la désignation d’un entraîneur par la fédération. Le cœur du conflit avec la fédération et le ministère et non pas une question de financement. 


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