Le parcours d’Ali Redjimi, le technicien des sports qui découvrit
Taoufik Makhloufi, raconté dans cette chronique montre les vicissitudes
rencontrées par les éducateurs sportifs. Il fait remonter du tréfonds de notre
mémoire le sort d’Aboud Labbed, lui
aussi grand découvreur de talents devant l’Eternel. Un enseignant d’EPS à la
fois humble et brillant dans ses découvertes et ses résultats. Un pionnier de
l’athlétisme féminin que l’on devrait porter sur un piédestal pour avoir fait
briller d’abord une championne d’Afrique en des temps (les années 70) où
l’athlétisme féminin était quasi inexistant (Sakina Boutamine) et qui fut, au
début des années 80, le découvreur dans les quartiers populaires de
Constantine, capitale numide avant d’être capitale de la culture arabe, puis le
formateur de Hassiba Boulmerka, première championne olympique algérienne du
1 500 mètres. Un parcours et un palmarès plus qu’honorable au vu des
moyens mis à sa disposition, exceptionnel certes mais susceptibles d’être
accompli par tant de techniciens des sports ou d’éducateurs sportifs.
Labbed conduisit Hassiba d’abord au titre arabe junior de cross
country (mars 1986) puis aux titres de
championne d’Afrique du 800 et du 1 500 (juillet 88) et aux demi-finales
des 800 et 1 500 mètres des jeux olympiques de Séoul (1988) avant qu’elle
ne rejoigne Amar Bouras pour la carrière qu’on lui connait avec tous les moyens
de la fédération mis à sa disposition. Labbed termina sa carrière comme il
l’avait commencé en tant qu’enseignant d’EPS faisant fonction de secrétaire
général de la ligue des sports scolaires de la wilaya de Constantine ainsi
qu’une longue liste de championnes d’Algérie dans toutes les épreuves de
l’athlétisme (sprint, haies, demi-fond, lancers et pour couronner le tout
épreuves combinées).
Sa polyvalence, il l’a doit à sa formation initiale d’enseignant d’EPS
spécialisé ensuite en athlétisme. Une spécialisation dont le format correspond
une vision passéiste certes mais valorisante pour les éducateurs sportifs
d’antan et leurs athlètes. A la fin des années 70, l’athlétisme constantinois
était dirigé par un ancien athlète, spécialiste des épreuves combinées, membre
des équipes nationales, enseignant à l’université de Constantine, Youcef
Boulfefel qui mit en place au sein de la ligue constantinoise d’athlétisme,
rayonnant alors sur une grande partie de l’Est algérien, une organisation du
travail, une répartition des tâches dans laquelle Labbed trouva sa place dans l’encadrement
de l’athlétisme féminin balbutiant aux côtés d’anciens athlètes devenus
éducateurs de renommée nationale - « Zizi » Benhabylès (sprint,
haies, sauts), Kamel Benmissi et Chérif Grabsi (demi-fond), Abdelmadjid
Kahlouche et Rachid « Tarzan » Kahlouche (lancers)- tous aussi
passionnés.
Hassiba Boulmerka a été très tôt orientée vers la vie professionnelle.
Lorsqu’elle atteignit le niveau national et régional arabe, africain), le sport
de performance issu de la réforme sportive de 1976 avait atteint sa vitesse de
croisière. Elle en profita en devenant athlète de performance au CR Belcourt
tout en continuant à s’entrainer à Constantine avec Labbed) grâce à une
intégration dans les effectifs de l’ENDVP, une filiale de Sonacome distribuant
des véhicules de tourisme importés du Brésil (Volkswagen) d’Italie (Fiat) et du
Japon (Honda). Elle n’était pas la plus talentueuse des athlètes de sa
génération mais sans conteste celle dont la capacité de travail était la plus
grande.
Hassiba fit ses débuts au moment où le sport algérien avait changé de
bord passant d’une approche ludique, dans la continuité de la pensée
coubertinienne où le résultat et la quête de la performance n’étaient pas
exclus mais étaient restreints par l’absence de moyens dans des associations typées
« loi de 1901 », à un professionnalisme d’Etat emprunté aux pays de
l’Europe de l’Est (URSS, RDA, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, etc.) financé par
la rente pétrolière. Un modèle d’organisation prenant en charge la prospection,
la détection des sportifs, leurs formations et leurs carrières sportives et
professionnelles inspiré également, au-delà des clivages idéologiques, de
l’organisation et de la gestion sportive des corps constitués (armée, police,
douane, pompiers) dans les pays de l’Ouest.
En fait, Hassiba Boulmerka, la grande athlète que l’on connait, émerge
à une époque charnière. Au moment où le professionnalisme d’Etat est à son
crépuscule et que le professionnalisme d’inspiration libérale montre le bout de
son nez. On pourrait dire que la frontière temporelle entre ces deux séquences
se situe entre les titres africains et les demi-finales olympiques de 1988 et
le titre mondial du 1 500 mètres de Tokyo (1991).
Jusqu’en 88, Hassiba Boulmerka est le produit d’un système et d’une
organisation. Si elle a conservé son entraîneur en restant à Constantine, la
gestion de sa carrière n’est plus locale. Les objectifs sont définis ailleurs.
Au CRB, le club dont elle porte les couleurs mais aussi à la fédération qui
mettent les moyens nécessaires et interfèrent aussi et de plus en plus dans la
préparation de l’athlète. Labbed ne sent plus à son aise. Hassiba aussi
d’ailleurs influencée par les tendances très modernes et trépidantes de sa
nouvelle vie faite de stages de préparation et compétitions loin du milieu
conservateur qui l’a vu grandir et la
marque.
Si Hassiba sut échapper aux dangers qui guettent une jeune fille dans
une grande ville cosmopolite, ce ne fut pas le cas d’une autre élève de Labbed,
une jeune heptathlonienne prometteuse (originaire également d’une famille
modeste, résidente dans un des nombreux habitats précaires de la couronne
constantinoise et orientée également vers la vie active, très tôt retenue en
équipe nationale) qui aurait pu succéder à Yasmina Azzizi, si elle n’avait été
éblouie par les lumières de la ville et ne s’était lancée dans un de ces
dérapages futiles et infantiles que commettent des jeunes insuffisamment
encadré(e)s lors d’un stage à l’étranger et la renvoya à Constantine où se
ferma sa parenthèse athlétisme.
La captation d’athlètes issus de l’Algérie profonde est un des modes
de fonctionnement de l’athlétisme algérien qui voit les clubs de la capitale attirer
les talents découverts et préparés pour la grande aventure. Hassiba a atteint
l’âge (19- 20 ans) qui est celui qui entraîne les grandes manœuvres, celui du
passage à l’âge adulte : succès au baccalauréat, entrée à l’université et
facilités pour allier sports-études, nouvelle vie dans une grande ville, la
plus grande du pays. Sauf que Hassiba est en dehors du circuit habituel.
D'origine modeste, Hassiba est alors en déphasage lorsqu’intervient
Amar Bouras, natif lui aussi de Constantine, ancien coureur de demi-fond,
diplômé de l’Institut supérieur des technologies et sciences des sports (ISTS)
d’Alger, installé à Alger où il exerce à la fédération ce qui, il faut bien le
dire, ouvre des portes inaccessibles à Labbed. Hassiba Boulmerka et Aboud
Labbed sont pris dans un système (l’algéro-centrisme) forgé sur le centralisme
démocratique. Toutes les décisions importantes se prennent à Alger.
A Constantine (et ailleurs dans le pays) malgré une amélioration
relative des moyens mis à la disposition des associations sportives aucune
d’entre elles ne peut rivaliser avec les grandes formations, toutes implantées
à Alger. Une seule avait tenue tête, pendant une brève période, la DNC
Constantine - grande rivale du MPA, de la DNC Alger, du RSK et du CRB, etc., au
début des années 80 - se meurt à petit feu lorsque Hassiba fait des premiers
pas. La politique sportive n’est d’ailleurs plus à la massification, détection,
formation mais à la réalisation de résultats, au financement des résultats ce
qui donnera plus tard les contrats de performance.
De plus, Labbed n’était pas (bien qu’il soit loué pour son activisme
et ses résultats) en odeur de sainteté dans nouvel ordre de l’athlétisme
national qui se construit. Il appartient en effet à un milieu de plus en plus exogène
(l’éducation nationale), il possède une formation qui n’est pas en adéquation
avec le paysage sportif national qui se met en place et dérange le corporatisme
ambiant. La fonctionnarisation du sport s’est mise en marche, le bénévolat qui
faisait la force du mouvement sportif national est alors en voie de disparition.
La fin de la relation Hassiba Boulmerka-Aboud Labbed marque la fin d’une
époque.
La première saison de Hassiba sous les couleurs du CRB coïncida avec
la promulgation d’une nouvelle réglementation sportive qui abrogea celle de
1976 et la montée en puissance de l’association des cadres du sport dont sont
membres de nombreux conseillers des sports en activité à la fédération
algérienne d’athlétisme et à la maison des fédérations.
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