lundi 21 mars 2016

Jeunes talents (4), De l’Olympe au royaume d’Hades

A
u milieu de cette décennie 90, Ali Saidi Sief, le futur médaillé d’argent du 5 000 des jeux olympiques de Sidney (2000) avant d’être le premier athlète Algérien suspendu pour dopage, était un illustre inconnu dans son village natal de  Hamma Bouziane. Un petit village qui fut, il y a bien des décennies, le jardin maraicher alimentant en fruits et légumes « bio » Constantine, capitale de la période contemporaine de l’Est algérien et qui, dans la nuit des temps (deux millénaires et demi) fut celle de l’empire érigé par l’aguellid numide Massinissa, allié et adversaire des Romains et des Carthaginois. Un immense jardin aujourd’hui détruit, recouvert par les poussières émanant  des cheminées d’une gigantesque  cimenterie dominant la plaine.
L’athlétisme (la course à pied en réalité) y était quasiment inconnu. Si ce n’est (à l’image de tant de villages et de petites villes  de l’Algérie profonde), qu’on y voyait (périodiquement) des courses organisées par les enseignants d’EPS dans le cadre du sport scolaire bien représenté dans les établissements et par les autorités locales, se devant de se mettre au diapason des résolutions des instances supérieure du Parti unique  afin de préserver (et booster) leurs carrières administratives et politiques, à l’occasion du « cross du Parti et des APC » et ensuite (en 1990) du « Cross de la Jeunesse », le parti unique n’étant plus en odeur de sainteté avec l’avènement du multipartisme.
Un club y naitra pour éviter aux ados les déplacements  (longs, difficiles et couteux alors) sur Constantine, à une dizaine de kilomètres de là et démontrer aussi que les talents existaient sans disposer de l’exposition nécessaire qu’étouffaient les entraineurs et clubs constantinois. En fait, des gamins et des gamines au potentiel indéniable stimulaient une perception et un discours identiques à celui des structures constantinoises vis-à-vis  de l’algérocentrisme et un univers basé sur le « centralisme démocratique » d’hier.  Aujourd’hui, « Hamma » recense un médaillé olympique (Saidi Sief), un sélectionné pour les championnats du monde et les jeux olympiques, le marathonien Tayeb Filali. Par ce mimétisme de l’univers athlétique constantinois qui se démultiplie à l’infini, la petite ville abrite trois clubs d’athlétisme et une course sur route solidement ancrée dans le calendrier national.
Ali Saidi Sief montra le bout de son nez aux « nationaux de cross » d’El Tarf. Le premier qui nous  parla de ce futur champion (pendant le long voyage de retour de Tarf) fut Cherif Grabsi, un coureur des années 60, membre de la première sélection nationale (1965) ayant participé au « Cross des Nations » (à Ostende, Pays-Bas), l’ancêtre de championnats du monde de cross-country. Employé et entraineur aux PTT de Constantine, il  avait le coup d’œil du détecteur de talents. On ne comptait pas les coureurs et coureuses de demi-fond qu’il avait mené en équipes nationales jeunes et aux championnats du monde junior (Amel Boudjelti, Naima Souag) et dont deux d’entre eux (Riad Gatte et Tarek Zoghmar) furent les partenaires d’entrainement de Hassiba Boulmerka dans un groupe préfigurant le groupe Adem Djamaa dans lequel évolue Genzebe Dibaba qui elle aussi s’entraine avec des hommes.  
Lorsqu’il nous parla de Sidi Sief, Grabsi Cherif n’avait aucun intérêt à le faire, si ce n’est que l’entraîneur du cadet (Boulhadid) qu’était Sief avait été son athlète. Saidi Sief termina d’ailleurs à la 5ème place de la course. Dans le peloton des concurrents, Sidi Sief était, avec ses cuisses impressionnantes, une force de la nature. Une morphologie qui le prédestinait plus à devenir un solide coureur de cross que le coureur de 1 500, 3 000 et 5 000 qu’il devint quelques années plus tard.

Saidi Sief avait un choix limité : le trabendo (le commerce informel auquel s’adonnent les jeunes sans perspectives d’avenir et conduit à toutes les déviances) ou la voie royale de la course à pied qui lui tendait les bras. En choisissant cette dernière, il s’est inscrit dans la perspective fédérale et du Mouloudia d’Alger (Ammar Brahmia l’avait été repéré et lui ouvrait les portes du professionnalisme. Il était tout juste junior.) de « la montée sur la capitale » devenant ainsi un Rastignac désarmé devant les tentations offertes. L’immature  champion de Hamma Bouziane ne s’étant pas exprimé sur cette période noire, on ne peut supposer qu’il s’est retrouvé engluer dans un monde de professionnels de façade où la « complémentation alimentaire », la « préparation biologique" étaient à la mode portées par les succès de certains entraineurs nationaux. La rencontre avec Dupont le porta au pinacle sportif sans qu’il ne se soit dépêtré des scories du 5 juillet,  du Sato et des annexes, la seule planète où il avait accès.  

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