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orsque le mouvement sportif algérien nait, dans les dernières années
du 19ème siècle, la population algérienne a été dépouillée de ses
possessions, de ses biens de peu de consistance d’ailleurs. Les insurrections
avortées l’appauvrissent encore plus. Les expropriations et les sanctions
collectives sont érigées en règle. Parallèlement, les propriétés des colons se
développent alors que les supplétifs (caïds, bachaghas, chefs de zaouïas)
tentent opportunément de se maintenir, en tant que représentants de leurs
ouailles auprès des autorités militaires puis civiles. Au prix d’innombrables
concessions.
Dans les villes, la petite bourgeoisie n’est pas encore apparue. Les
petites échoppes, les petits ateliers dans les ruelles tortueuses des casbahs
continuent d’exister comme du temps où les janissaires s’occupaient des
activités manuelles auxquelles leurs apprentissages au sein du corps militaire
ottoman les destinaient leurs temps de service achevés. Leur descendance (celle
des janissaires, des corsaires et de leurs chefs), fruit le plus souvent de
mariages mixtes, formait une classe sociale intermédiaire entre la population
indigène et la caste dominante qui refusait de les intégrer et les abandonna
définitivement après le 5 juillet 1830 lorsque la majorité d’entre eux s’en
alla rejoindre Constantinople, Istanbul et Ankara.
Le mouvement sportif naissant lui aussi est fondé sur les ambigüités
du système colonial pris entre les mécanismes
économiques du capitalisme également naissant et en expansion (en Europe) dans
la seconde moitié du siècle (grandes propriétés agricoles et industrielles) et
les idées socialistes (marxistes, saint-simoniennes, proudhoniennes,
bakouniniennes) faisant de l’Algérie un laboratoire en grandeur nature, les tentatives
de conversion de la population au christianisme et d’affaiblissement de l’Islam,
du pouvoir des chefs religieux et des grands propriétaires autochtones, dont
quelques-uns s’unirent pour prendre la tête d’insurrections qui firent trembler
(pendant quelques mois) une des armées les plus modernes d’Europe avide de
revanche et d’en découdre après la débâcle de 1870. Elles furent réduites dans
un bain de sang et au prix de décapitations des chefs (cheikh Aheddad et El
Mokrani) et de la déportation de centaines de leurs partisans vers les bagnes
de Cayenne alors que concomitamment les mouvements laïcs ou athées accroissaient
leurs importances, renforçaient leur présence idéologique dans un contexte
politicien tendant à amoindrir l’influence religieuse et la montée de
l’antisémitisme (affaire Dreyfus).
Le mouvement sportif algérien (parmi la population autochtone, faut-il
préciser) est né dans la mouvance religieuse, ferment de l’esprit de révolte,
presque toujours dans les lieux de culte. Alors que la laïcité était le crédo
de l’Administration hexagonale et locale, les associations sportives
algériennes affichaient leur référence religieuse. A travers leurs
dénominations subtile telles que les « Mouloudia » renvoyant à la commémoration du Mawlid,
Mouloud Ennabaoui, naissance du prophète Mohamed, tandis que d’autres
revendiquaient explicitement leurs origines en s’appelant « JSM »
(Jeunesse sportive musulmane), « ASM » (association
sportive musulmane) ou «USM » (union sportive musulmane)
suivi du nom de la localité : Mouloudia d’Alger, d’Oran, de Constantine,
de Bejaïa ; JSM Bejaïa, Skikda ; ASM Oran ; USM Alger, Sétif,
Oran, Annaba.
Le laxisme de l’Administration sur ce point a été compensé – pour
empêcher, nous semble-t-il, l’apparition d’un communautarisme sportif qui
aurait inévitablement déplacé le conflit colons-colonisés des champs de
batailles vers les terrains de sports – par l’obligation d’intégrer dans ses
formations des joueurs des autres communautés essentiellement les citoyens
français. Comme on peut le supposer et ainsi que le décrivent les récits des
contemporains, ce fut un mouvement sportif à deux vitesses avec d’une part les
colons et leurs sympathisants et d’autre part les Algériens et les plus
défavorisés des immigrants français, Espagnols, Italiens à la recherche de
l’Eldorado en terre nord-africaine, sans compter également les nombreux exilés
politiques, une population que l’on retrouvera certainement (si l’on se penche
sur la question) parmi les Français d’Algérie qui intégrèrent les rangs du PCA
et (pendant la guerre de Libération) du FLN.
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