dimanche 17 avril 2016

Statut des SSPA (4), L’ambiguïté en arrière-plan

L
orsque le mouvement sportif algérien nait, dans les dernières années du 19ème siècle, la population algérienne a été dépouillée de ses possessions, de ses biens de peu de consistance d’ailleurs. Les insurrections avortées l’appauvrissent encore plus. Les expropriations et les sanctions collectives sont érigées en règle. Parallèlement, les propriétés des colons se développent alors que les supplétifs (caïds, bachaghas, chefs de zaouïas) tentent opportunément de se maintenir, en tant que représentants de leurs ouailles auprès des autorités militaires puis civiles. Au prix d’innombrables concessions.
Dans les villes, la petite bourgeoisie n’est pas encore apparue. Les petites échoppes, les petits ateliers dans les ruelles tortueuses des casbahs continuent d’exister comme du temps où les janissaires s’occupaient des activités manuelles auxquelles leurs apprentissages au sein du corps militaire ottoman les destinaient leurs temps de service achevés. Leur descendance (celle des janissaires, des corsaires et de leurs chefs), fruit le plus souvent de mariages mixtes, formait une classe sociale intermédiaire entre la population indigène et la caste dominante qui refusait de les intégrer et les abandonna définitivement après le 5 juillet 1830 lorsque la majorité d’entre eux s’en alla rejoindre Constantinople, Istanbul et Ankara. 
Le mouvement sportif naissant lui aussi est fondé sur les ambigüités du système colonial pris entre les  mécanismes économiques du capitalisme également naissant et en expansion (en Europe) dans la seconde moitié du siècle (grandes propriétés agricoles et industrielles) et les idées socialistes (marxistes, saint-simoniennes, proudhoniennes, bakouniniennes) faisant de l’Algérie un laboratoire en grandeur nature, les tentatives de conversion de la population au christianisme et d’affaiblissement de l’Islam, du pouvoir des chefs religieux et des grands propriétaires autochtones, dont quelques-uns s’unirent pour prendre la tête d’insurrections qui firent trembler (pendant quelques mois) une des armées les plus modernes d’Europe avide de revanche et d’en découdre après la débâcle de 1870. Elles furent réduites dans un bain de sang et au prix de décapitations des chefs (cheikh Aheddad et El Mokrani) et de la déportation de centaines de leurs partisans vers les bagnes de Cayenne alors que concomitamment les mouvements laïcs ou athées accroissaient leurs importances, renforçaient leur présence idéologique dans un contexte politicien tendant à amoindrir l’influence religieuse et la montée de l’antisémitisme (affaire Dreyfus).
Le mouvement sportif algérien (parmi la population autochtone, faut-il préciser) est né dans la mouvance religieuse, ferment de l’esprit de révolte, presque toujours dans les lieux de culte. Alors que la laïcité était le crédo de l’Administration hexagonale et locale, les associations sportives algériennes affichaient leur référence religieuse. A travers leurs dénominations subtile telles que les « Mouloudia »  renvoyant à la commémoration du Mawlid, Mouloud Ennabaoui, naissance du prophète Mohamed, tandis que d’autres revendiquaient explicitement leurs origines en s’appelant « JSM » (Jeunesse sportive musulmane), « ASM » (association sportive musulmane) ou «USM » (union sportive musulmane) suivi du nom de la localité : Mouloudia d’Alger, d’Oran, de Constantine, de Bejaïa ; JSM Bejaïa, Skikda ; ASM Oran ; USM Alger, Sétif, Oran, Annaba.

Le laxisme de l’Administration sur ce point a été compensé – pour empêcher, nous semble-t-il, l’apparition d’un communautarisme sportif qui aurait inévitablement déplacé le conflit colons-colonisés des champs de batailles vers les terrains de sports – par l’obligation d’intégrer dans ses formations des joueurs des autres communautés essentiellement les citoyens français. Comme on peut le supposer et ainsi que le décrivent les récits des contemporains, ce fut un mouvement sportif à deux vitesses avec d’une part les colons et leurs sympathisants et d’autre part les Algériens et les plus défavorisés des immigrants français, Espagnols, Italiens à la recherche de l’Eldorado en terre nord-africaine, sans compter également les nombreux exilés politiques, une population que l’on retrouvera certainement (si l’on se penche sur la question) parmi les Français d’Algérie qui intégrèrent les rangs du PCA et (pendant la guerre de Libération) du FLN. 

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