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es supporters ont une manie fâcheuse et déroutante de ne pas
fonctionner, de ne pas réagir comme des êtres humains normaux, comme ces gens
qui forment la majorité silencieuse, confortablement (mais pas toujours)
installés dans la vie casanière, rythmée par ce « métro-boulot-dodo »
(qui fit fureur dans les discours soixante-huitards), devenu une expression
figée ayant cours même dans les villes (y compris chez nous) où le métro ne
circule pas et qui ne s’intéressent guère ou plutôt qui se fichent éperdument
du football comme de leurs premières paires de chaussettes. Le football n’est pas
leur préoccupation première et ne le sera sans doute jamais ! Surtout que
ce sport véhicule une image désastreuse (faite de vulgarités et de chants
inaudibles et incompréhensibles, de débordements trop souvent accompagnés
d’actes de délinquance causés par des meutes sans brides) ne correspondant pas
à leur mode de vie.
La foule (ainsi qu’il en est de toutes les rassemblements humains) des
supporters est influençable, malléable comme l’est la pâte qui sert à modeler.
Elle prête attention à toutes les rumeurs. Surtout aux plus folles, les moins
crédibles que certains, doués pour la manipulation, se plaisent à propager. En
particulier, les informations dont l’objectif est de porter atteinte à son
statut de force vitale circulant, monopolisant son âme, son esprit conditionné
par des discours qui la flatte dans le sens du poil et lui fait perdre la tête.
La foule des supporters est véritable mélange explosif des forces
vives de la société, une jeunesse (et des moins jeunes) souvent en rupture de
ban ou du moins qui sont en marge d’une société officielle dans laquelle ils
n’ont pas trouvé leurs repères. Les cireurs – qu’Ahmed Ben Bella, le premier
président de l’Algérie indépendante, au sortir de la guerre de Libération, ne
voulait plus voir dans les rues d’Alger et des grandes villes du pays - ont été
remplacé par les vendeurs à la sauvette s’égayant comme des moineaux à la vue
des policiers en tenue faisant leurs rondes, les traquant dans la perspective
de l’éradication du commerce informel. Ce sont eux qui forment l’essentiel des
bataillons qui occupent les stades comme ils ont été (et seront) le noyau dur
des émeutiers d’hier et de demain.
Dans les derniers évènements qui ont animé les deux « grands »
clubs professionnels, les rivaux de la doyenneté (MCA et CSC), ils ont été en
première ligne pour saluer le retour d'Omar Ghrib à la fonction de coordinateur
général du MCA et demander le retour de Mohamed « Soussou »
Boulhabib à la tête du CSC.
S’inspirant sans doute des rebondissements dont les séries télévisées
égyptiennes, syriennes et turques sont friandes, l’appel émanant du « peuple »
a concerné deux des clubs financés par Sonatrach et une de ses filiales
(c’est-à-dire deux SSPA financièrement stables), branchés directement sur le
pipe-line déversant des milliards de centimes dans les stades ou plus
exactement dans les cercles gestionnaires du remplissage des tribunes. Ces deux
leaders, ces deux meneurs de troupes, appartiendraient, si l’on en croit les propos
rapportés à leurs sujets, au même milieu que les supporters. Ils seraient issus
de cette matrice de ce que nos parents nommaient le « marché
noir » et que nous avons mis au niveau linguistique avec d’abord
le « trabendo » et, depuis que le phénomène est devenu
un fait social de grande ampleur examiné par chercheurs de l’université
algérienne et intégré dans la perception politicienne des exécutifs nationaux
et locaux, l’ « économie souterraine ». Ils en
auraient gravi les marches conduisant aux sommets de la hiérarchie
Ghrib et Boulhabib sont, dans le mode de pensée des Chenaoua et des
Sanafirs, l’équivalent moderne des illustres héros populaires, ces « chevaliers » issus
des rangs du peuple (Robin des bois, Cartouche), défenseurs de la veuve
éplorée, des enfants et des pauvres contre l’aristocratie bureaucratique
dévorant ses propres enfants ou ces « bandits d’honneur »
qui, dans les montagnes de Kabylie et des Aurès, prirent les armes contre les
suppôts de la colonisation. Une auréole encore plus lumineuse depuis qu’ils ont
obtenu gain de cause devant les tribunaux inféodés à la raison d’Etat et ont
fait plier les fondations du pouvoir.
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