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a supplémentation, dans notre conception de citoyens de pays en voie
de développement ou de prolétaires (une notion idéologiquement marquée) dans
des sociétés plus évoluées, renvoie inexorablement à l’adjonction de produits
pharmaceutiques ou parapharmaceutiques aux portions alimentaires quotidiennes.
Malnutrition, dénutrition, mauvais équilibre alimentaire font partie de
l’environnement qui exige, pour une pratique sportive répondant aux normes
prescrites, d’avoir recours à la diététique renforcée par des artifices. C’est
ce que nous avons vu précédemment avec nos chroniques qui ont abordées les cas
de dopage de Zahra Bouras et Larbi Bourraâda.
Dans un article publié en 2013,
le journaliste-écrivain Guillaume Prébois s’intéressant de près au dopage dans
les pelotons de coureurs cyclistes, montre que la supplémentation prend un tout
autre sens et est inscrite au cœur des discours ambigus d’Alberto Salazar. La
supplémentation n’est plus alimentaire mais hormonale. Pour Prébois, Salazar
fait entrer le dopage en athlétisme dans ce monde avant-gardiste où les progrès
technologiques sont en avance d’une dizaine d’années sur les laboratoires de
lutte contre le dopage. Ce qui incite à
croire que l’entraîneur américano-cubain est un précurseur dans son domaine.
Selon Prébois, Salazar affirme sans détours que la pratique intensive
pluriannuelle de la course à pied entraine la diminution des taux de certaines
hormones (testostérone, mais aussi hormones thyroïdiennes) et qu’il est tout à
fait légitime pour un coureur de corriger cette diminution. Ce fait mène
Salazar à militer pour une révision de la liste des produits interdits qui,
dans son optique, contient des substances dont les dangers ont été exagérés ou n’ont
pas été prouvés.
Nous devons considérer que Salazar (et le NOP regroupant une trentaine
d’athlètes) s’inscrit dans une perspective d’optimisation des moyens et que la
pratique de la course à pied revêt une forme pathologique, addictive lorsque
l’on prend en compte le kilométrage couru hebdomadairement. En effet, les
distances courues donnent froid dans le dos : 200 kilomètres annoncés par
Mo Farah qui sont eux-mêmes très éloignés des 320 kilomètres du Salazar
athlète. Très loin de ceux que peuvent aligner les coureurs moyens.
Quoique l’on puisse penser de
ce personnage sans équivalent, celui-ci n’est pas un charlatan. Bien au
contraire. Comme beaucoup d’entraîneurs, il se situe aux limites extrêmes de la
connaissance, validée ou controversée, y compris par les thèses développées par
des hurluberlus ou des marginaux.
Selon un article publié dans le « Wall Street
Journal » et rapporté par G. Prébois, le docteur Jeffrey Brown
(appointé par Nike) déclare supplémenter les athlètes d’endurance en hormones
thyroïdiennes. Il pense « que les coureurs de demi-fond et marathon
sont fréquemment atteints d’hypothyroïdisme en l’absence de toute pathologie
thyroïdienne, ce qui expliquerait des périodes de fatigue chronique intense ».
Exit la vitamine C, le magnésium, le calcium, le fer, etc. que l’on trouve quelque
fois dans les sacs de sport des athlètes.
Prébois dévoile en premier lieu que « cinq des trente
athlètes (dont Galen Rupp) entraînés par Salazar sont ainsi en traitement par
la lévothyroxine » et que d’autres champions américains tels Carl
Lewis (en 1996) ainsi que Bob Kennedy, le premier coureur américain à courir le
5 000 en moins de 13 minutes l’ont utilisé.
Pour Don Catlin, du laboratoire antidopage de Los Angeles, la
lévothyroxine est un stimulant favorisant la perte de poids par effet
anorexique. Les autres effets des hormones thyroïdiennes seraient
l’augmentation de la consommation d’oxygène au niveau des muscles (VO₂ max), du
débit et du rythme cardiaque. Leur administration se solderait par la mise au
repos de la thyroïde et l’inhibition de la sécrétion de TSH (thyréostimuline). Toujours
selon Prébois, les hormones thyroïdiennes, « en augmentant la
demande en oxygène, favorise la production d’EPO endogène » et présenteraient les effets indésirables de
l’hyperthyroïdie (troubles du rythme cardiaque, insomnie et amaigrissement). Dans
son article de 2013, Prébois constate que « ces substances sont en
vente libre dans certains pays et surtout ne figurent pas sur la liste des
produits interdits de l’AMA ».
Dans sa conclusion, Prébois observe que « supplémenter un
athlète en hormone signifie qu’il répond mal à l’entraînement ou à la
compétition » et que « la supplémentation apporte donc
un avantage à l’athlète moins en forme ou moins fort et court-circuite le
mécanisme physiologique de récupération. L’administration d’hormones
thyroïdiennes est donc bien un dopage, même si elles n’appartiennent pas à la
liste des produits interdits ».
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