lundi 19 septembre 2016

Polémiques (13), Mahour Bacha, descendant de janissaire

Dans l’exposé que nous fit Mohamed Hamouni, Noureddine Morceli (l’enfant du pays, de Sidi Akacha, près de Ténés) était appelé aux plus hautes destinées sportives alors qu’il venait d’échouer aux jeux olympiques de Barcelone. Selon son point de vue, Fatma-Zohra Djami-Khedim (tenante du titre de championne d’Algérie de cross-country) n’aurait qu’une gloire éphémère. Nous ne saurions dire si Mohamed Hamouni a depuis théorisé, modélisé ce qui était alors une discussion fort utile de compréhension socio-ethnologique du mouvement sportif. Entre amis.
La perception de Mohamed Hamouni s’inscrivait (le savait-il ?) dans la démarche de Mouloud Mammeri (écrivain et ethnologue) décrivant le fonctionnement culturel d’une tribu et d’une famille maraboutique (les siennes enregistrant de nombreux poètes) kabyles  à travers également un triptyque faisant apparaitre une hiérarchisation sociale mettant en évidence trois types de sujets sociaux : l’ « amousnaw » (le savant, le sage, détenteur d’un savoir religieux et d’une maitrise des connaissances générales pouvant en faire l’aède, l’érudit, l’orateur partageant un discours sublimant), « lequbaïli » (le lettré doté de la compréhension des savoirs sacrés et profanes mais dépourvu de la capacité de parole ) et l’ « argaz l’hali » (l’homme humble capable de décrypter les codes de la société kabyle).
Un tel traitement socio-ethnologique est difficile. Pour Amar Bouras, nous sommes confrontés à l’absence de données pertinentes. Quant à Amar Brahmia,  les informations sont incomplètes. A propos de ce dernier, nous  n’en savons seulement que ce que, dans le cadre de sa défense face aux attaques médiatiques portées contre lui pendant et après les jeux olympiques de Rio, il a bien voulu dévoiler. Il a rappelé la réussite sportive, universitaire et professionnelle de ses deux frères Abdelbaki et Nacer (coureurs  de 1500 mètres de notoriété nationale dans les années 80) et d’une possible appartenance à l’univers chaoui.   
A moins de se plonger dans les études proposées par Boudjemaâ Haïchour (sociologue et ancien ministre originaire d’Ain Abid dont la situation géographique en fait un point de convergence entre les territoires de trois cités (Constantine, Oum El Bouaghi et Guelma) sur les tribus chaouies et celles s’étant établies sur l’espace oriental algérien,  il est quasiment impossible de se prononcer.
Pour Ahmed Mahour Bacha, cette approche peut être plus fructueuse. Si l’on en réfère à  l’histoire de l’Algérie telle qu’elle a été écrite (dans son chapitre sur la période ottomane et les relations que les Ottomans entretenaient avec les Berbères) par Mouloud Gaïd et d’autres auteurs.  On y apprend que l’Ojak, le corps militaire des janissaires (faiseur et défaiseur de l’autorité beylicale) était constitué d’enfants achetés (ou ravis) à leurs familles par l’armée ottomane dans l’espace géographique constitué par l’Anatolie et les pays des Balkans (Albanie, ex-Yougoslavie, ex-Tchécoslovaquie, une partie de l’Autriche, de l’Italie) ou voisins - Grèce et iles de la mer Egée (Malte, Crète, Chypre) ou de la mer Adriatique (Sicile, Corse).
Les contingents de janissaires constamment renouvelés étaient formés de soldats célibataires ("sbentout") formés spécialement pour l’art militaire et qui recevaient également une formation à la maîtrise de certains métiers pouvant permettre aux janissaires (en position de réservistes) de subvenir à leurs besoins et de participer à la fonction d’intendance et de logistique du corps de l’Ojak. Il est à remarquer que pour des raisons de politique ottomane, l’armée d’occupation de la terre algérienne n’a pas comporté de contingents de janissaires recrutés dans la population autochtone. 
Ces janissaires, en dehors du temps dû à l’Ojak, ont fondé naturellement des familles avec les autochtones. Leurs enfants (les Kouloughli) n’ont jamais été intégrés dans la société ottomane dominante et dans l’Ojak (les tentatives ont été réprimées dans le sang) ni totalement absorbés par la population indigène.
Ils formaient une caste, un groupe social intermédiaire entre les Ottomans et la population locale. Plus proches de la branche maternelle que de la branche paternelle qui les rejetait, ils vivaient cependant près des casernes (bordjs) marquant plus une présence symbolique qu’une véritable colonisation, des relais reliant Alger (siège de la Régence) aux autres grandes cités (Oran et Constantine) mais aussi centres de collecte de l’impôt.

En 1830, les Turcs partis après Sidi Ferruch et la reddition du bey d’Alger, les Kouloughli (indésirables dans la branche  paternelle) sont restés en gardant le patronyme de leurs parents, représentatifs de la fonction exercée par ces derniers dans l’Ojak. Cela donne, à titre d’exemple, les noms comportant un préfixe (Bachtarzi, Bachtoubdji, Bachkhaznadji) ou une forme suffixale (Bacha, Pacha, Khodja, etc.) ainsi que les Bestondji, Khaznadji, etc. qui perdurent dans la patronymie algérienne à la sauce de l’Etat civil version française.

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