lundi 17 octobre 2016

Polémiques (33), L’esprit de contradiction


Rétrospectivement, en  s’appuyant sur les discours sociologiques portant sur la reproduction des élites sociales, on peut comprendre  que les membres connus de la famille de Brahmia (ses frères Abdelbaki et Nacer) puissent appartenir à la fois à l’élite sportive et intellectuelle. Une meilleure connaissance de son milieu natal, familial (limite Sud des monts Aurès), du pays chaoui dont il s’est revendiqué (nous semble-t-il pour la première fois) au retour des jeux olympiques de Rio, au lieu de renvoyer à Annaba à laquelle son accent le rattache. L’antique Bouna, port cosmopolite et cité d’antique civilisation où Saint Augustin exerça son ministère chrétien, était jusqu’alors sa ville d’élection. Cette déclaration d’appartenance, identitaire, est un élément de meilleure compréhension.
Il faut aussi observer qu’en Kabylie, espace géographique et culturel où une forme de laïcité et de démocratie  traditionnelle, « archaïque » si l’on en croit des hommes politiques contemporains, où la dimension religieuse était moins marquée (dans la seconde moitié du 20ème siècle) que dans le reste du pays, il existait (et il existe toujours) des familles maraboutiques (les merabtines), dont l’existence s’appuyait sur les principes, les rituels et les formules discursives empruntées à  l’Islam traditionnel, formant un microcosme très contrasté par rapport au reste de la population de la région.
A Chlef, Un peu après sa déclaration fracassante, lorsque ses pairs sportifs, ayant enfin compris ses intentions, le sommèrent quasiment de s’expliquer, il dira qu’en apportant son soutien au parti islamiste et en appelant à voter pour lui, il manifestait une réaction à une transgression d’une convention informelle conclue entre cadres sportifs, celle de ne pas interférer dans le débat politique, avec pour noble objectif  de ne pas mêler sport et politique..
L’association algérienne des cadres du sport (AACS) étant passée outre, il avait décidé de choisir le camp diamétralement opposé. Nous nous engageons sans doute excessivement en percevant dans cette attitude le pur esprit de contradiction que les Chaouis ont érigé en symbole identitaire et héritage sociétal. Pourtant, cela y ressemble grandement. Dans un souci chronologique, nous  rappelons également que cette déclaration explicative eut lieu quelques heures avant la diffusion de son intervention sur les écrans de télévision.
L’image de Brahmia a été indélébilement (en réalité à chaque fois que l’on a voulu s’opposer à ses démarches) marquée par cette intervention télévisée par laquelle il apporté son soutien au parti islamiste. Des membres de la « famille de l’athlétisme » nous ont rappelé opportunément que les Mahour Bacha, Bouras et Brahmia ont su s’associer pour la défense de leurs intérêts communs et empêcher les représentants de la « troisième force » de diriger la fédération lorsqu’ils en marquèrent l’intention.  
Comme certains des habitants d’Annaba (mais aussi de ceux des villes historiques telles qu’Alger, Constantine, Bejaïa, etc. où le repère de la citadinité s’explique en grande partie par le repli dans les vieilles villes, les casbahs et autres médinas), Ammar Brahmia propose à son environnement une attitude qui est à la fois exubérante et quelque fois agaçante, beaucoup trop souvent en porte-à-faux avec son entourage. Une attitude susceptible d’être abordée et examinée dans une double opposition à la fois culturelle et sociologique : citadinité vs ruralité d’une part et bourgeoisie (grand, petite, historique ou en construction) vs prolétariat, d’autre part.   
Cette attitude, parfois emphatique et souvent exhibitionniste, empruntant également à la gouaille et à l’épate  méditerranéenne partagée entre autre avec les Marseillais, à un moment donné, par effet de contamination, a atteint Noureddine Morceli. En particulier, après les jeux olympiques de Barcelone 1992, lorsque l’échec du coureur de Sidi Akacha fut expliqué par l’emprise que le parti dissous aurait exercée, via Brahmia, sur « son » athlète.
Ce fut lors de notre seconde rencontre avec Noureddine, sur les hauteurs d’Alger que nous pûmes nous rendre compte qu’en cette fin d’année 1992, le champion n’était pas le jouet que l’on supposait. Le ténébreux Noureddine était beaucoup plus chaleureux qu’il n’y paraissait et possédait une personnalité charmeuse. En un quart d’heure, le temps d’une prière, il nous montra combien il était agacé par la pratique religieuse ostentatoire de son manager et par ses relations avec quelques techniciens du Mouloudia qui affichaient ouvertement leur appartenance : « Il n’est pas comme eux pourquoi le fait-il croire ? ». Brahmia, avons-nous compris, était prisonnier de l’image qu’il s’était donné. 

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