samedi 24 février 2018

Ali Saidi Sief (3), Sur fond de résilience


Les courses du 1500 m au 5000 m (les deux distances qui nous intéressent présentement car ce furent celles où se réalisèrent les exploits) sont fondées sur des qualités physiques faisant appel essentiellement aux notions d’endurance et de résistance.
Se greffant sur les performances hors du commun qui furent celles de Hassiba Boulmerka et de Noureddine Morceli, elles se sont adjoint une autre dimension. Celle-ci n’a aucun rapport avec le sport. Elle touche au psychologique et au sociologique.
La résilience a acquis, en ces temps apocalyptiques, une dimension socio-politique essentiellement arc-boutée sur l’identité nationale légitimée par les exploits des « moudjahidine » (combattants) et des « chouhada » (martyrs) de la guerre de Libération.
Cette identité, solidement implantée dans les esprits, est mise en péril par l’appartenance à la « Oumma » (la communauté musulmane) à laquelle se réfèrent en permanence le mode de pensée de la dissidence armée islamiste et de ses soutiens endogènes et exogènes qui s’approprieront la même terminologie  guerrière.
Dans ce nouvel univers bouillonnant, dont les prémices annonciatrices sont en gestation dans la société algérienne depuis les premières années de l’accession au pouvoir du président Chadli (qui se retirera en janvier 1992), la résilience, concept polysémique (empruntée ici à la littérature de la psychologie et de la psychiatrie) se définit comme la capacité « à absorber une perturbation, à se réorganiser, et à continuer de fonctionner de la même manière qu’avant » les traumatismes psychologiques et les effets sociétaux induits par les pillages, les saccages, les ravages, les barrages routiers, les agressions, les tueries, les massacres génocidaires de villages et autres ilots d’habitat, les vols et les viols qui submergeront le territoire algérien au cours des mois et années succédant à la médaille de  vermeil olympique remportée par Hassiba aux jeux olympiques de Barcelone (1992) et durant les deux olympiades suivantes.
Pour l’Etat souverain d’Algérie, résistant aux assauts et coups de butoir portés par les « mains étrangères » orientale et occidentale, l’emblème porté par celle qui devient une héroïne permit de continuer à faire vivre, survivre et rassembler les citoyens emportés par l’horreur démentielle.  
De ce duo (Boulmerka-Morceli), porteur de lumières et d’espoirs multiples, dans un climat désespérant dans lequel s’expriment essentiellement les terreurs difficilement oubliées et sublimées depuis la fin de la Guerre de Libération, c’est Hassiba Boulmerka qui fut mise aux premiers rangs, qui fut la Passionaria, l’égérie de cette époque troublée.
Pour les « Patriotes », les « hommes debout », elle fut en quelque sorte une nouvelle représentation de la Kahina ou de Lalla Fatma N’Soumer qui, en d’autres temps plus cléments, avaient été remisées dans les limbes de l’oubli. Hassiba, comme la « Pucelle d’Orléans », réunit les forces vives du pays, la résistance à l’aliénation.
Hassiba Boulmerka fut le phare éclairant d’un pouvoir à dominante sécuritaire, à la recherche d’une crédibilité interne et internationale. Elle fut alors le contrepoids médiatique au slogan, prétendument neutre, du « qui tue qui » envahissant, plus que de raison, les colonnes d’une presse internationale impudiquement alliée à ce leitmotiv et à cette idéologie ensanglantant le pays au nom d’une démocratie « sacrilège » encapuchonnée dans les  discours sirupeux du califat qui en profita pour implanter ses bases arrières et préparer ses futurs champs de bataille en territoires de chrétienté.
La jeune musulmane, courant en short, renversant les nouveaux tabous, devançant ses rivales essentiellement européennes, illustrait parfaitement le message de modernité opposé à l’obscurantisme rétrograde de ces Autres, barbus armés et à leurs alliés libéraux d’Occident, adversaires des anciens « Non-Alignés », devenus nations en voie de développement, exprimant une rhétorique à combattre sans rémission, celle  des années 1970 à la vie dure.


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