lundi 26 février 2018

Ali Saidi Sief (4), La schizophrénie sociologique


Le message nationaliste de Noureddine Morceli fut plus sobre, plus nuancé tout en baignant dans l’ambigüité. Il se traduisit, après une victoire dans un meeting du Grand Prix IAAF, devant les caméras, répercutant sur les écrans de télévision du monde entier, l’image inattendue d’une génuflexion. Un geste, surprenant pour les téléspectateurs confrontés sur une piste d’athlétisme à un signe distinctif et ostentatoire de l’Islam, qui est suivi par un tour d’honneur avec le drapeau national. 
Ces deux gestes furent porteurs d’une symbolique frappant les subconscients déroutés. Hautement symptomatiques, ils furent antérieurs à la représentation, d’une portée quasi-messianique, de Hassiba à Barcelone. C’est à Nice, entrée tardivement dans l’Hexagone, terre électorale de la droite et de l’extrême droite française, patrie de substitution des anciens colons et partisans de l’ « Algérie Française », que Noureddine Morceli se révéla aux Algériens….et au monde.
Son geste instinctif (il sera repris par la suite par les Maghrébins dont Hichem El Gueroudj) fut ambivalent. Déroutant l’opinion internationale, il fut reconnu et encensé par toutes les parties algériennes qui n’étaient pas encore en formation de combat. Avant que les événements douloureux n’occupent les colonnes de la presse et que son échec barcelonais ne soit vécu comme une trahison par les « nationalistes éradicateurs » et une victoire par les autres.
Deux faits importants et explicatifs (sa blessure au cours d’un stage au pays des Incas offrant des sacrifices humains à leurs dieux et le retard occasionné à sa préparation qui s’ensuivit) furent sciemment occultés, pour de multiples raisons, par les analystes sportifs et politiques de l’époque.
Les Jeux Olympiques de Barcelone, vécus comme un échec, furent le déclencheur des réticences ultérieures lesquelles furent suscitées puis vivifiées par les déclarations et agissements controversés de certains membres de son proche entourage.
La disqualification morale qui fut prononcée persista longtemps. Elle servit aussi les intérêts de certains proches de Hassiba Boulmerka avant que cette dernière ne prit son émancipation. Elle fut certes atténuée par le record du monde qu’il battit, quelques jours après les Jeux.
Les titres mondiaux de Morceli, ses records planétaires, son aisance à se défaire de ses adversaires frappèrent l’imaginaire algérien et autorisèrent plus tard l’inversion plus tard. Mais, son absence de parti-pris politique joua à la fois en sa défaveur et en faveur de celle qu’on lui opposa constamment dans le milieu athlétique agité en catimini par une guerre des clans qui ne disait pas encore son nom.
Hassiba, Noureddine puis Nouria (médaillés d’or du 1 500 m respectivement aux Jeux Olympiques de 1992, 1996 et 2000) furent aussi, sans qu’ils en aient toutefois pleinement conscience, les porte-flambeaux du nouvel ordre économico-politique national naissant, véhiculé par une oligarchie, ressemblant très fortement à celle que généra la  pérestroïka soviétique qui lui fut contemporaine.
Le nouvel ordre qui a pris son essor aux cours de la première décade du mois d’octobre 1988 avec les émeutes populaires précédant l’ « ouverture démocratique » conduisit à la multiplication lapinière des  associations à caractère politique et culturel. La majeure partie d’entre elles étaient adossées viscéralement, pourrait-on dire, à la religiosité rampante, à dominante rigoriste, à tendance guerrière déployée depuis le Moyen-Orient et les contreforts de l’Himalaya, de cet Afghanistan important et réexportant ses talibans, combattants de la foi.        
Rétrospectivement, la fin de cette année 1988 marque, sans contestation aucune, le début l’envol de Boulmerka et Morceli. A l’exceptions de quelques observateurs, le fait passa inaperçu. La communauté athlétique algérienne ne se rendit pas compte, sur le moment, que l’histoire athlétique algérienne amorçait un tournant, et que ces deux champions étaient représentatifs d’une exception. Beaucoup de jeunes sportifs étaient susceptibles de percer. Il leur manquait si peu de choses pour franchir le cap.

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