lundi 19 septembre 2016

Polémiques (11), "Boudemagh", la grosse tête

Sans en avoir conscience, le fil de la pensée, le cours des évènements, les associations d’idées qui font le bonheur des psychologues et des psychanalystes , ces liens et sauts qu’ils adorent écouter dans le cadre de leurs consultations, lorsque le patient est allongé au divan intimement lié à l’image que nous avons d’eux et à l’exercice de leurs activités, nous imposent de sauter  quelques mois pour arriver au présent…récent.
Il y a quelques jours, pendant le déroulement des épreuves d’athlétisme figurant au programme des jeux olympiques, un ami Facebook, ancien entraîneur de l’élite,  évincé, avons-nous compris,  par la DTN, a utilisé une fonction (que nous  avons découverte et que nous ne maîtrisons pas) permettant de se parler au lieu d’échanger de « shorts messages ».
Il nous surpris, dès l’entame de la discussion, en parlant de « Boudemagh, oualid bladek  (l’enfant de ton patelin)». Nous associant à un Boudemagh que nous n’avons pas dans notre environnement. De plus, de notre bled où ce type de patronyme n’est pas usité.
Dans notre conception, « le bled » c’est notre "douar" d’origine, celui où nous plongeons nos racines, ce village de montagne inscrit dans l’histoire de la Révolution pour avoir abrité le Congrès de la Soummam  et bien avant pour avoir combattu les colonnes armées des envahisseurs ayant remonté « La Vallée » (celle de l’Oued Soummam): Ifri-Ouzellaguen.
Nous ne nierons certainement pas que Constantine, capitale des fiers Numides de Massinissa, de cette immense région qui donna des cavaliers à Hannibal "le Carthaginois" lors de la bataille de Zama ou des troupes à Tarek Ibn Zyad qui brûla ses navires après avoir franchi le détroit de Gibraltar, participe également (en tant que ville d’adoption depuis une quarantaine d’années) de notre construction identitaire.
Mais certainement pas cette Constantine  que l’on glorifie en tant que "capitale" romaine, arabe ou ottomane ou point de chute de de la diaspora mauresque (populations arabo-musulmane et hébraïque repoussées par la Reconquista de la terre andalouse des 15ème  et 16ème  siècles, par les armées d’Isabelle la catholique et du roi Ferdinand (sur ce point précis, lire la chronique « n°120. " Taïhoudite", Le CSC pris dans l'engrenage », 29 août 2015).
Nous sentirions il est vrai plus proche d’Ain Abid, ville meurtrie dans sa chair par les événements du 20 août 1955 que l’on célèbre lors de la « journée du Moudjahid » associant  les deux 20 août (1955 et 1956).
C’était notre premier entretien disons téléphonique via Facebook ou ses appendices.  Après les explications de notre interlocuteur, nous identifiâmes « Boudemagh » comme étant Amar Bouras.
« Boudemagh » et « Bouras », dans la sphère de la linguistique et de l’histoire du pays s’intéressant à la construction des patronymes, renvoient à la fin du 19ème  siècle (vers 1890, en fonction de la pénétration coloniale à l’intérieur du pays profond).  Jusqu’à cette période, correspondant à la mise en place des registres d’Etat civil par l’administration française, les noms ont été une succession de prénoms entre lesquels s’intercalaient des « ibn » et des « ben » donnant des patronymes à la longueur démesurée comme on peut encore le voir dans le système de (dé)nomination en cours au sein des nations du Moyen Orient.
Chez nous, pour différentes raisons qu’il serait long d’expliquer ici (mais dans lequel prédomine l’idée d’humiliation d’une population certes vaincue militairement  mais encore résistante à l’avancée coloniale), le processus d’attribution des noms, par l’administrateur et son aide local (le caïd ou le garde-champêtre), s’est appuyé sur des particularités physiques et intellectuelles, sur des diminutifs, sur des surnoms, sur des travers ou l’exercice d’un métier ou d’une fonction sociale.
Nous avons ainsi la série des « Ben » suivi d’un particularisme comme dans Benmerabet qui est le « fils du marabout » (merabet ou m’rabet en « daridja », dans ce « maghribi » - un mot que nous devons au sociolinguiste algérien de Tlemcen, Abdou Elimam - qui serait la fusion des différentes langues qui ont eu cours sur le territoire nord-africain (l’amazigh, le sanscrit, le phénicien, le punique en y ajoutant le grec, le romain, l’arabe, le turc, etc.).
Le « Bouras » et le « Boudemagh » seraient ainsi le « père », le « propriétaire de la tête » qui, selon le cas, aurait deux dimensions, « petite » ou « grosse ». Nous noterons que « demagh », toujours en arabe dialectal, est « une tête d’animal », une tête de mouton ou de veau. Une de celles que l’on cuisine merveilleusement bien dans les restaurants des vieilles villes et dans les restaurants à la portée de la bourse des plus démunis.

 Ce surnom (Boudemagh), dans le ton et dans le contexte du moment où il a été utilisé avait donc une connotation péjorative et dépréciative, porteuse du peu de considération portée à celui qu’il désigne tout en étant un met apprécié.

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