L’athlétisme mondial est en pleine crise. Une crise qui s’apparente à un retour de la guerre froide entre les Occidentaux et les Russes. Les ingrédients ; le dopage des athlètes russes et une corruption généralisée prenant la forme d’une extorsion de fonds et du blanchiment d’argent. Lamine Diack, ex-président de l’IAAF, est mis en examen par la justice française. Son successeur, Lord Sébastian Coe est déjà sur la sellette. Interpol est chargé des investigations qui se poursuivent. D’autres développements sont attendus.
Le rapport de l’enquête menée par un comité indépendant, constitué
par l’agence mondiale de la lutte contre
le dopage, confié à un Américain, ancien président de la dite agence, à un
spécialiste allemand de la cybercriminalité
a été publié quelques jours après la mise en examen de trois hauts
responsables de l’IAAF dont l’ancien président de cette fédération sportive
internationale, le Sénégalais Lamine Diack et du chef de département de la
lutte antidopage, le médecin français Gabriel Dollé pour corruption passive et
blanchiment aggravé.
Le rapport dont il est question
rédigé en anglais pèse quelques 360 pages. Il met en accusation, selon ceux qui
ont pu le consulter, un « dopage d’Etat » impliquant des
athlètes, des entraîneurs, des dirigeants de fédéraux, des responsables de la
lutte antidopage russes et même des agents des services de sécurité de ce pays.
La conjonction de ces deux faits médiatiques laisse supposer une stratégie de
démantèlement de l’athlétisme russe (dont nous ne pourrons jamais prétendre
qu’il est indemne de toutes tares) qui a pris naissance dès la fin de l’année 2014 et même bien avant avec le
soutien de la presse allemande, britannique et française. Sa rédaction en
anglais (première de l’IAAF), il nécessite une traduction pour que les
dirigeants russes puissent le comprendre et surtout faire part de leurs
remarques dans un délai très court (une semaine).
Pendant que les autorités et la presse gouvernementales russes nient
de telles accusations qui seraient, selon eux, de pures allégations sans
preuves, les médias occidentaux s’en donnent à cœur joie dans une ambiance qui
rappelle celle de la période de « la guerre froide ». On comprend
mieux le déchainement médiatique lorsque les mêmes médias occidentaux (toutes
tendances idéologiques confondues) démontrent que les performances des athlètes
russes depuis le début du siècle sont le fruit de cette prothèse technologique
qu’est le dopage. Le nombre de médailles à redistribuer publié dans cette
presse montre bien la motivation des uns et des autres.
Dopage d’Etat ou pas ?
Les pays de l’Est (Russie, Ukraine, Ouzbékistan, etc.) sont marqués par un processus de
« soviétisation » : le dopage y serait, selon une idée préconçue
véhiculée à bon escient par ces dirigeants et la presse embarquée, érigé en
système. Pendant ce temps, des spécialistes ou des connaisseurs (eux aussi
Occidentaux) de ces questions estiment que le « dopage d’Etat » n’a
existé qu’en ex-RDA et que les incroyables statistiques mises en valeur pour
accuser les Russes (42 suspensions ou bannissements dans la liste du 25
septembre) est en fait la preuve d’un dopage incontrôlé pratiqué avec peu de
moyens. Ils notent aussi que cette recrudescence de cas de dopage aurait
conduit à des atteintes à la dignité humaine intolérables subies par des
athlètes russes dans les lieux de prélèvements.
Les recommandations de l’AMA que l’IAAF mettra certainement en œuvre auraient
pour objectif d’écarter un rival qui dérange dans la perspective des jeux
olympiques de Rio 2016. La décapitation (retrait de l’accréditation du
laboratoire d’analyses de Moscou, suspension de la fédération russe, et autres
propositions de mesure préconisées par l’AMA) permettra un certain
assainissement. Mais, le dopage, il faut en convenir, s’est
« cancérisé », métastasé. Il continuera à être pratiqué là où on ne l’attend pas, là où on ne sait pas
qu’il existe (les instruments d’une véritable analyse n’existent pas). Dans ces
multiples centres de préparation disséminés un partout dans cette immense
région géographique. A moins bien sur que le système américain de la délation
(révélations d’informations de la part de repentis ou lanceurs d’alertes) tel
que pratiqué par l’AMA et les agences nationales de lutte contre le dopage soit
développé et rendu plus efficace qu’il
ne l’est déjà.
Le supposé réseau maffieux centralisé en place laissera sans doute le
terrain libre à une multitude de réseaux de dimensions plus réduites mais
également et malheureusement plus performants. La lutte contre ses réseaux
nécessitera la mise en place d’une gestion, d’un protocole, d’instruments de
lutte contre le dopage à l’image de ceux qui existent pour lutter contre le
terrorisme et ceux que l’on appelle les « loups solitaires »
indécelables sauf erreur de leurs parts.
La guerre contre le dopage est et sera asymétrique puisque le dopage,
dans ces pays là (ne pas oublier l’Ukraine, etc.) prendra une forme
d’ « occidentalisation », de libéralisation,
d’individualisation de la pratique
dopante qui existe déjà dans d’autres activités avec la maffia russe.
Dopés avec des produits connus
L’organisation à « la soviétique » est lourde. Elle
fonctionne certainement efficacement quand elle donne sa pleine mesure. Mais,
parce qu’elle prend une forme quasi-administrative (ce qui est le cas
aujourd’hui), elle ne peut que difficilement s’adapter aux mutations. Le dopage
russe fonctionne avec des produits éculés. Etant dans le viseur de l’AMA le
nombre de Russes dopés augmentera certainement. Tout comme celui des Kenyans
d’ailleurs. Ces derniers à lire ce qui s’écrit sur le sujet sont, sur ce plan,
très « européanisés » dans leur organisation de l’athlétisme. Avec
cependant là aussi des produits qui datent avec une forme qui emprunte à la néo
colonisation.
A remarquer que dans certains pays européens, la
recherche-développement dans ce domaine est très active. On n’oubliera pas
l’affaire Balco, ce laboratoire US ayant fabriqué ce type de produits et à l’origine
des affaires Marion Jones, Tim Montgomery ainsi que le dopage érigé en système
de Lance Amstrong et de ses coéquipiers (et des autres équipes cyclistes pro
dont une venue des ex-pays soviétiques).
Nous ajouterons, pour rester en France et illustrer la nouvelle
tendance, les affaires dans lesquelles sont impliqués Bernard Moulinet et
Khadija Samah, dopés avec de nouvelles molécules de synthèse décelables depuis
peu. Tout comme celle d’importation, acquisition et détention d’EPO via
internet et La Poste de Mounir Acherki , un athlète de niveau
régional-interrégional, qui sera jugé le 20 novembre à Colmar.
De toute évidence ne seront pris dans les filets de la lutte contre le
dopage que les « petits » utilisateurs des produits du pauvre. Quant
aux autres, il faudra attendre certainement la fin de la période de
conservation des échantillons (10 ans) et l’amélioration des techniques
d’analyses. Ceux-là, on les trouvera dans les pays occidentaux.
Dans beaucoup d’épreuves, la disparition des Russes, Kenyans,
Marocains et des binationaux du Moyen Orient (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar, Bahreïn)
des classements mondiaux entrainera certainement la remontée des athlètes
américains, britanniques et Européens
aux premières places. Mais, certainement pas l’élimination du dopage.
L’encouragement à cette pratique vient des instances internationales
(IAAF) et nationales. Aux derniers championnats du monde de Pékin les primes de
résultats variaient entre 4 000 dollars (8ème de la finale) et
60 000 dollars pour le vainqueur (médaille d’or) qui pouvait prétendre à
100 000 autres dollars pour avoir battu un record du monde.
En septembre, l’USATF s’est réunie et a décidé d’accorder de
substantielles primes pour favoriser et améliorer le statut de l’athlète de
haut niveau. Le système de récompenses mis en place consiste à aider les athlètes américains que
sont les smicards de l’athlétisme US, le plus souvent des étudiants attardés (cumulant
petit boulot, entraînement de haut niveau et vie estudiantine avec pour
principal soutien, les parents et le conjoint) pris dans le tourbillon d’une
vie précaire ne favorisant que rarement la haute performance. La vie d’un
champion-étudiant aux USA n’est pas idyllique.
Ouverture de la course aux
médailles
L’USATF distribuera 1,8 millions de dollars par an (sur cinq ans) sous
la forme suivante : 10 000 dollars US pour chacun des athlètes se qualifiant
pour un Mondial d’été ou bien pour les J.O. ainsi qu’un bonus (25 000 dollars
US pour l’or, 15 000 pour l’argent et 10 000 pour le bronze) en cas de
médailles.
Cela s’ajoute aux primes versées comme par exemple lors des trials
(sélections américaines) avec 10 000, 8000, 6000, 4000, 2000 et 1000 dollars
jusqu’au 8ème .
Sont concernés par cette mesure le TOP 3 d’un National (porte d’accès
à un Mondial ou aux J.O.) le plus souvent méconnu du grand public (les Etats
Unis qualifient dans les 130 athlètes pour un Mondial), qui sont des smicards
de l’athlétisme.
Tous les 2 ans, un Américain médaillé d’or aux championnats du monde
ou aux JO pourra encaisser (s’il ne fait pas partie des ténors (participant aux
meetings et disposant d’un contrat avec des équipementiers ou autres) jusqu’à
150 000 dollars.
La mission de nettoyage de l’IAAF a été confiée à Lord Sébastian Coe
élu président de l’IAAF, en août dernier, juste
avant l’ouverture des championnats du monde de Pékin. Certains
journalistes occidentaux parmi ceux qui ne sont pas obnubilés par la chasse aux
sorcières russes s’interrogent sur la capacité de ce pair d’Angleterre, ancien
président du comité de candidature puis d’organisation des jeux olympiques de
Londres (2012), à prendre en charge la mission qu’il s’est donnée d’assainir
l’athlétisme mondial. En effet, les jeux de Londres, selon une expression
nouvellement apparue, auraient été « sabotés » par le nombre de cas
suspicieux de dopage apparus à la suite d’un l’examen d’une base de données
piratée de l’IAAF qui indiquerait que un
tiers des médaillés auraient présenté
des anomalies du passeport biologique de l’athlète (PBA).
Le Britannique aurait fait preuve de plus d’aveuglement que de
lucidité. En sa qualité de double
champion olympique du 1 500 mètres (1980 et 1984), il semblait ignorer
jusqu’aujourd’hui le dopage du fond et demi-fond russe. Des photos le montrent
posant, après son élection aux championnats du monde de Pékin, avec Andreï
Baranov, agent de trois athlètes russes suspendus pour dopage ces dernières
années et prétendument lanceur d’alerte.
Coe, en sa qualité de vice président de l’IAAF pendant 8 ans, décrivait à la même époque
(c'est-à-dire au courant de l’été), celui à qui il a succédé, le Sénégalais
Lamine Diack, comme un « leader
spirituel » l’ayant formé. On rapporte qu’il avait été surpris par la mise en
examen de son mentor. Cela n’empêche pas de rappeler que compte tenu du contexte qui prévalait (le
départ forcé, à la fin 2014, du fils Diack, de son conseiller juridique et de son
responsable de l’antidopage) il aurait du être plus prudent dans ses
déclarations.
Sébastian Coe, trait d’union entre
deux scandales de corruption
La conservation de son lucratif poste d’ambassadeur de Nike (dans
lequel Coe ne voit aucun conflit d’intérêts car l’américain de
chaussures n’aurait que peu d’intérêts dans l’athlétisme mondial) gênerait parce que les championnats du monde de 2021
auront lieu à Eugene (Etats-Unis), considérée comme la ville de Nike, sans mise
en concurrence des candidatures. Pour épicer la sauce, c’est à Eugène qu’est
installé Alberto Salazar, entraîneur de la star britannique Mo Farah membre de
l’ « Oregon Nike Project » (tout un programme), objet d’une
enquête menée par les agences antidopage américaine et britannique.
Pour corser le tout, Sébastian Coe s’affichait dans les locaux de la Fédération
russe d’athlétisme à moins d’une semaine de la remise d’un rapport sur ses
agissements.
Dans une interview diffusée dernièrement,
Coe n’a pas été ménagé par le présentateur vedette de la chaine de télévision
britannique « Channel Four »
qui lui reprochait son inaction (en tant que vice-président, depuis
2007, de l’IAAF). Poussé dans ses retranchements, il aurait fini par
admettre que l’IAAF aurait du voir venir
cette situation catastrophique qui violente l’image de la discipline.
On ne se gêne pas pour se souvenir que l’ancien athlète avait été aveugle face à d’autres allégations de corruption. En 2006,
Sepp Blatter en avait fait le premier président de la commission d’éthique de
la FIFA, un poste dont il démissionnera (près de deux ans plus tard) pour rejoindre la candidature anglaise à
l’organisation de la Coupe du monde de football, sans avoir rien vu qui puisse
ressembler à un problème d’éthique à la FIFA, ni faire aucune recommandation de
gouvernance.
La suite du processus
d’assainissement
La conclusion que l’on doit en tirer est que le grand nettoyage de
l’athlétisme mondial a été confié à celui qui a été choisi par Lamine Diack et Sepp Blatter et qu’il est un trait d’union entre deux affaires ayant
ébranlé récemment le sport mondial à travers des affaires de corruption.
« Augias », qui
renvoie au nettoyage des écuries d’Augias, un roi de la mythologie grecque, par
le héros Héraclès (Hercule), est le nom
de code des investigations lancées, via l’agence de police internationale basée
à Lyon (Interpol) par la justice française saisie par l’AMA. Elles seront sans
aucun doute lancées en direction des fédérations qui, comme celle de Russie,
dérange l’hégémonie occidentale. L’inde qui recense le plus grand nombre de cas
de dopage (après la Russie) ne sera sans doute pas épargnée. Il n’en sera pas de même pour le
Kenya dont la suprématie en courses de demi-fond et de fond est sans équivalent
depuis plusieurs décennies devra être remise en cause pour laisser aux pays
européens et anglophones (Grande Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande)
dominateurs dans les années de la
décolonisation voulant retrouver leur primauté.
La seconde fédération dans le viseur est la Jamaïque. Suivie par
toutes les nations des Caraïbes (y compris et surtout Cuba) dont les résultats
en sprint, courses de haies et saut (longueur et triple saut) ont réduit les
chances européo-américaines. Il sera intéressant de connaitre le sort qui sera
réservé à certaines nations fortement représentées dans la liste des dopés de
septembre 2015 (Turquie, Ukraine, Pologne, Roumanie) faisant aujourd’hui partie
de l’Europe et/ou du Pacte atlantique.
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