Dans le discours du nouveau citoyen péruvien perce la vocation
civilisatrice qui a accompagné, sublimé ses colonialistes européens. Cette
vocation se traduit par un questionnement supposé être celui de ses nouveaux
compatriotes stupéfaits de le voir courir avec les athlètes des autres
nations: « Qui est ce? », « Je ne savais pas
que les gens pouvaient courir sur un stade ! », « je
ne savais pas que cela faisait partie
des Jeux ! ».
Inconsciemment, car cela fait partie de son « Moi »
américain (celui que n’a pu pourtant lui léguer son père décédé prématurément et qui fait partie des
stéréotypes de la société américaine), il reprend le bon vieux discours du
« sauvage », celui popularisé par les ouvrages
littéraires (et philosophiques) du 17ème siècle de Defoe, Rousseau et le Voltaire
sarcastique et surtout du 19ème
siècle que l’on mit dans la bouche des Mayas, Incas et autres Amérindiens au
débarquement des Conquistadores au 16ème siècle.
Dans cette série de questions, les idées préconçues d’un
américano-péruvien, de la partie américaine de sa personnalité sont en place.
On les retrouve aussi dans cette réduction cognitive que l’on trouve dans les
idéologies présentes dans l’esprit de beaucoup de membres de nations
prétendument civilisées, technologiquement modernes: « ils ne
regardent que le marathon et 10 kilomètres, deux épreuves qui sont vraiment
connues là - bas, deux courses qui font partie de la culture ». Un
sentiment de supériorité vivifié par cette autre déclaration : « ma
seule présence, nous l'espérons, permettra d’introduire un changement ».
Comme si la télévision et les NTIC ne faisaient pas partie de leur univers.
On ne sait, à vrai dire, si ce sont les pensées de David Torrence ou
celles du journaliste qui transparaissent. Mais, comme il s’agit d’une
interview destinée à un lectorat américain, nous sommes censés croire que ce
sont les propos de David Torrence, dont le prénom est prémonitoire.
Doit-on condamner l’ensemble des propos tenus. Sans doute pas
lorsqu’il s’agit de noter le « grand, grand décalage entre non
seulement le Pérou, mais l'Amérique du Sud dans son ensemble et le côté courant
de ce sport ». Encore moins
lorsqu’il se (et nous) questionne en se demandant « combien de fois avons-nous
vu des athlètes d’Amérique du Sud concurrencer ceux des États -Unis ou d’Europe? ».
Le constat est lucide lorsqu’il affirme que
« vous ne les voyez jamais dans les meetings de la "Diamond
League" ou dans les très gros "invitationals meetings" ».
La visibilité internationale des
athlètes sud-américains est portée au chapitre, mise en exergue.
Sa mission, celle qu’il s’est attribuée, est de « combler
cette lacune » en leur permettant de réaliser des performances de
niveau mondial et de les introduire dans ce genre de rencontres sportives.
L’aspect linguistique (« ils ne parlent que l'espagnol »)
est aussi relevé. La méconnaissance de l’anglais (langue universellement
parlée) leur interdirait toutes
relations avec les meetings organisés aux Etats Unis, avec les circuits
canadien, belge, etc. Sa connaissance du milieu athlétique, son bilinguisme
seraient, pour les athlètes péruviens, des atouts qui leur permettraient d’y
prendre part et de se voir offrir des possibilités qu’ils ne pouvaient
auparavant envisager.
Il prévoit également de partager ses connaissances en matière
d’entraînement. « Quand je me suis entraîné là - bas, dit-il,
j’ai vu que ces gars sont super, super-talentueux. Et je sais qu'ils
peuvent être de classe mondiale ». Puisque c’est lui qui le dit,
lui qui vient d’une nation qui domine formidablement le sport mondial, cela
doit vrai.
Son espoir est d’« aller là - bas avec mes connaissances et
mon savoir-faire pour leur organiser des camps d’entrainement aux Etats - Unis et quelques-uns au Pérou ». Ses références ne peuvent être qu’américaines
alors que ses nouveaux compatriotes sportifs ne connaissent pas les hauts lieux
de l’entraînement aux Etats Unis, ne « sont jamais allés à
Flagstaff, ils ne sont jamais allés à Park City ou nulle part ailleurs ».
Ils ne s’entraînent qu’au Pérou, repliés sur eux-mêmes. David Torrence leur
apportera l’ouverture sur le monde, la technologie de la course à pied.
Son raisonnement, quelque part, tient la route. Faire partie des
meilleurs athlètes impliquerait de voyager à travers le monde, de s’entraîner
partout. Sinon, on s’installe dans la monotonie et la routine qui sont
préjudiciables au progrès.
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