mardi 29 mars 2016

Des entraîneurs (2), L’absence de transfert de savoir-faire

N
ous avons vu (trop rapidement) dans la précédente chronique qu’un champion pouvait émerger à partir de deux filières, celle du bénévolat et du mouvement associatif d’une part et la filière plus « professionnalisée» des sports études et de l’INSEP.
Nous avons également indiqué qu’il existait un système d’acquisitions de connaissance et de perfectionnement. Bruno Gajer décrit un système dont on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas d’une organisation académique mais d’une association permanente entre les travaux de recherche effectués en laboratoires et les travaux de terrain dans laquelle les résultats des uns éclairent et confortent ceux des autres. Une association dans laquelle interviennent trois acteurs, les chercheurs, les entraîneurs et les athlètes.
La première question posée dès l’entame de l’interview nous apprend qu’en 2000, Bruno Gajer a édité un livre (consacré au 800 mètres) dédié à la mémoire de Camille Viale, un entraineur de haut niveau ayant produit de la connaissance utilisée par ses collègues. Il explique son acte (dédicace) par l’admiration qu’il ressentait pour cet entraîneur décédé une année plus tôt.
Un acte auquel il associe quelques noms du 800 mètres français Philippe Collard,  Jean Claude Vollmer et José Marajo.
Ses propos empreints de sincérité sont éloquents et mérite un moment de méditation de la part des « vrais » entraîneurs : « nous étions admiratifs de cet homme, c’était le bon moment car on rend peu souvent hommage à nos entraîneurs qui disparaissent alors qu’ils ont apporté quelque chose à l’athlétisme ».
On apprend ensuite qu’une seconde édition de ce livre a été publiée l’année dernière « avec la collaboration de 12 entraîneurs ». Interrogé sur la réunion d’autant de compétences (une notion que l’on doit certainement percevoir à travers le triptyque savoir, savoir-faire et savoir-être qui synthétise les bagages académiques, l’expérience acquise sur le terrain et le comportement de l’individu-entraineur dans ses relations avec les autres et son domaine d’expertise) et l’éventualité que cela permette d’affirmer l’existence d’une école française du 800, il répond que bien que l’ouvrage collectif lui paraisse « hétéroclite » il y a « des fils que l’on retrouve chez nous tous. On est tous sur un fil, on se transmet des connaissances, que l’on fait évoluer certes, que l’on modernise. Je dirai donc qu’il y a bien une école à la française. Quand je vois l’entraînement de Thierry Choffin, de Philippe Dupont, on a beaucoup de choses en commun. On voit tous le 800 à travers le même prisme ».
Revenant sur les 20 dernières années, Gajer décrit succinctement le cheminement, la démarche qui ont conduit à ce « prisme » et s’est penché dans l’interview sur un aspect de la préparation des athlètes de haut niveau, celui du renforcement musculaire.  Il indique qu’il y a eu « historiquement » (dans une sorte de démonstration et de la formation des strates cognitives) d’abord le travail de recherche sur la préparation musculaire avec le binôme José Marajo - Jean Claude Vollmer sur le terrain et un autre binôme en laboratoire (Gajer- Christian Miller) suivi par des « analyses d’activité », un tour de France des colloques lui-même se poursuivant par le lancement du « renforcement musculaire avec une vraie méthodologie  qui a été reprise et que chacun s’est appropriée ».
Paradoxalement, chez nous où des résultats ont été obtenus au plus haut niveau (championnats du monde et jeux olympiques) dans certaines  épreuves (le 1 500 mètres et le 800 mètres en particulier avec une extension vers les épreuves combinées, heptathlon et décathlon, le saut en hauteur, le saut en longueur), ce transfert, cet essaimage de savoirs, la confrontation entre des approches ne semble pas avoir eu lieu dans un cadre organisé. Il aurait été en effet utile à la communauté des entraîneurs de connaître quelles ont été les principes et méthodes d’entraînement des Labed, Bouras, Morceli, Brahmia, Benida, Redjimi, Benachour, Saïd-Guerni et d’autres entraîneurs.
On ne sait pas quoi penser. S’agit-t-il d’une rétention volontaire de connaissances consécutive au dépit ressenti par une exclusion du système ? D’une politique de mise à l’écart des détenteurs de savoir susceptibles de remettre en cause l’ordre établi ? De l’absence d’un cadre organisé où ces entraîneurs pourraient intervenir ne serait-ce qu’en animant des conférences.   

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