Rétrospectivement, en s’appuyant sur les discours sociologiques portant
sur la reproduction des élites sociales, on peut comprendre que les membres connus de la famille de
Brahmia (ses frères Abdelbaki et Nacer) puissent appartenir à la fois à l’élite
sportive et intellectuelle. Une meilleure connaissance de son milieu natal,
familial (limite Sud des monts Aurès), du pays chaoui dont il s’est revendiqué
(nous semble-t-il pour la première fois) au retour des jeux olympiques de Rio,
au lieu de renvoyer à Annaba à laquelle son accent le rattache. L’antique
Bouna, port cosmopolite et cité d’antique civilisation où Saint Augustin exerça
son ministère chrétien, était jusqu’alors sa ville d’élection. Cette
déclaration d’appartenance, identitaire, est un élément de meilleure
compréhension.
Il faut aussi observer qu’en
Kabylie, espace géographique et culturel où une forme de laïcité et de
démocratie traditionnelle, « archaïque »
si l’on en croit des hommes politiques contemporains, où la dimension
religieuse était moins marquée (dans la seconde moitié du 20ème
siècle) que dans le reste du pays, il existait (et il existe toujours) des
familles maraboutiques (les ₺merabtines₺), dont l’existence s’appuyait sur
les principes, les rituels et les formules discursives empruntées à l’Islam traditionnel, formant un microcosme
très contrasté par rapport au reste de la population de la région.
A Chlef, Un peu après sa déclaration
fracassante, lorsque ses pairs sportifs, ayant enfin compris ses intentions, le
sommèrent quasiment de s’expliquer, il dira qu’en apportant son soutien au
parti islamiste et en appelant à voter pour lui, il manifestait une réaction à
une transgression d’une convention informelle conclue entre cadres sportifs,
celle de ne pas interférer dans le débat politique, avec pour noble objectif de ne pas mêler sport et politique..
L’association algérienne des
cadres du sport (AACS) étant passée outre, il avait décidé de choisir le camp diamétralement
opposé. Nous nous engageons sans doute excessivement en percevant dans cette
attitude le pur esprit de contradiction que les Chaouis ont érigé en symbole
identitaire et héritage sociétal. Pourtant, cela y ressemble grandement. Dans
un souci chronologique, nous rappelons également
que cette déclaration explicative eut lieu quelques heures avant la diffusion
de son intervention sur les écrans de télévision.
L’image de Brahmia a été
indélébilement (en réalité à chaque fois que l’on a voulu s’opposer à ses
démarches) marquée par cette intervention télévisée par laquelle il apporté son
soutien au parti islamiste. Des membres de la « famille de
l’athlétisme » nous ont rappelé opportunément que les Mahour
Bacha, Bouras et Brahmia ont su s’associer pour la défense de leurs intérêts
communs et empêcher les représentants de la « troisième force » de
diriger la fédération lorsqu’ils en marquèrent l’intention.
Comme certains des habitants
d’Annaba (mais aussi de ceux des villes historiques telles qu’Alger,
Constantine, Bejaïa, etc. où le repère de la citadinité s’explique en grande
partie par le repli dans les vieilles villes, les casbahs et autres médinas), Ammar
Brahmia propose à son environnement une attitude qui est à la fois exubérante
et quelque fois agaçante, beaucoup trop souvent en porte-à-faux avec son
entourage. Une attitude susceptible d’être abordée et examinée dans une double
opposition à la fois culturelle et sociologique : citadinité vs ruralité
d’une part et bourgeoisie (grand, petite, historique ou en construction) vs
prolétariat, d’autre part.
Cette attitude, parfois emphatique
et souvent exhibitionniste, empruntant également à la gouaille et à
l’épate méditerranéenne partagée entre
autre avec les Marseillais, à un moment donné, par effet de contamination, a atteint
Noureddine Morceli. En particulier, après les jeux olympiques de Barcelone
1992, lorsque l’échec du coureur de Sidi Akacha fut expliqué par l’emprise que
le parti dissous aurait exercée, via Brahmia, sur « son »
athlète.
Ce fut lors de notre seconde
rencontre avec Noureddine, sur les hauteurs d’Alger que nous pûmes nous rendre
compte qu’en cette fin d’année 1992, le champion n’était pas le jouet que l’on
supposait. Le ténébreux Noureddine était beaucoup plus chaleureux qu’il n’y
paraissait et possédait une personnalité charmeuse. En un quart d’heure, le
temps d’une prière, il nous montra combien il était agacé par la pratique
religieuse ostentatoire de son manager et par ses relations avec quelques
techniciens du Mouloudia qui affichaient ouvertement leur appartenance :
« Il n’est pas comme eux pourquoi le fait-il croire ? ».
Brahmia, avons-nous compris, était prisonnier de l’image qu’il s’était donné.
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