dimanche 12 juin 2016

Dans le rétro (4), Zahra, au fond du trou

E
n 2012, Zahra Bouras se prépare à la conquête d’un nouveau titre de championne d’Afrique du 800 mètres. Elle  a aussi dans son esprit, bien enfoui là où on ne pourra le trouver, là où l’on cache les espérances les plus folles, celles qui habitent les sportifs de haut niveau, l’espoir de réaliser les minima pour les jeux olympiques de Londres.
Dans son entourage, du côté de la fédération où l’aura, la réputation d’entraîneurs de très haut niveau des Amar Bouras et d’Ahmed Mahour Bacha est forte, on la voit, on la destine à une place en finale de la course olympique et les plus aventureux la hisse sur le podium.  Quant à elle, après le cataclysme qui bouleversa son existence, elle affirmait que ses ambitions étaient plus modestes,  son « objectif était d'arriver en finale ». Elle reconnut également que « beaucoup de personnes pensaient que j'étais un espoir de médaille », avant d’avouer (c’était quelques jours avant l’ouverture des jeux auxquels elle ne pouvait plus concourir) : «  je sais que je n'ai pas encore le niveau pour remporter une finale ». Une manière très délicate d’affirmer que certains la voyait sur la plus haute marche du podium. Ils savaient certainement.
 Pourtant, depuis ses débuts sous la coupe de Dadi, Zahra a progressé. Enormément. On pressent qu’elle succédera à Hassiba Boulmerka sur les tablettes du record national du 800 mètres. D’ailleurs, Zahra vient de quitter le groupe d’entraînement de Mahour Bacha (dans lequel elle côtoyait le décathlonien Larbi Bourraâda et Amina, la fille de l’entraîneur) pour s’entraîner (depuis le début de l’année) avec son père.  
Après un hiver et un printemps à régler la mécanique humaine, faire des efforts surhumains, Zahra est prête à entrer en compétition. Ses succès, son titre de championne d’Afrique du 800, les performances de la saison précédente lui ouvrent les portes de meetings de bonne renommée organisés en terre française. Montreuil (dans la région parisienne) et Villeneuve d’Asq (près de Lille) accueille à bras ouverts la valeur naissante du demi-fond féminin algérien.
Deux courses, deux victoires l’amène à quelques centièmes de seconde du record de Hassiba. La saison est bien lancée. Elle devient la favorite du 800 des championnats d’Afrique (qui se disputent quelques jours plus tard à Porto Novo, au Bénin) dont elle ne prendra pas le départ. C’est là-bas qu’elle apprendra la nouvelle de sa suspension.
En août 2012, quelques semaines après ses courses françaises, elle raconta comment elle apprit la mauvaise nouvelle : dans un taxi alors qu’elle  rentrait à l’hôtel après un échauffement (apparemment interrompu suite à une communication téléphonique entre son père et le président de la fédération, Badredinne Belhadjoudja): « C'est sur le chemin du retour qu'il m'a annoncé que j'avais été contrôlée positive au Stanozolol ».
Sonnée, en état de choc, elle resta sans réaction, sans dire un mot pendant presque trois heures. Elle s’enferma dans sa chambre à attendre le retour des autres athlètes (restés au stade) pour leur annoncer ce qui lui arrivait : « Je ne voulais pas qu'ils l'apprennent par quelqu'un d'autre ». Abattus, eux-mêmes choqués, les athlètes algériens (dont elle connaissait certains depuis une dizaine d’années) et les entraîneurs l’ont soutenu. Elle dit : « Ils ont tout fait pour que je ne sombre pas » d’autant que son père « était ravagé par la douleur ».
Certains anciens athlètes furent plus proches que la majorité qui ne s’est pas manifestée. Baya Rahouli, Ali Saïdi Sief « qui a connu la même mésaventure et qui m'a très souvent appelée pour me remonter le moral » ainsi que Hassiba Boulmerka et « tous ceux que mon père a entraînés » firent partie de ceux qui dans les semaines qui suivirent prirent de ses nouvelles, ne la laissèrent pas tomber.
En ces moments difficiles, Zahra Bouras, malgré la tristesse, la détresse qui l’envahit conserve un peu de lucidité. Pendant un bref moment, au Bénin, elle avait pensé arrêter l’athlétisme avant de se dire que  ce serait comme « reconnaître l'accusation qui est portée contre moi, alors que je suis innocente ». Ella  avait aussi conscience que sa «  réputation est salie quels que soient les résultats des prochaines analyses. Le mal est fait et je dois apprendre à vivre avec une faute que je n'ai pas commise ». 

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