Peu nombreux sont ceux qui
connaissent Ali Redjimi, un parmi les milliers éducateurs sportifs qui hantent
comme des zombies les scènes de leur passion, les pistes d’athlétisme et les
parcours de cross country. Une activité
qui s’apparente au plus grand crime qui puisse être commis dans un univers où
n’existe plus que la passion matérialiste, celle qui se compte en billets de
banque (dinars, dollars ou euros) ou en billets d’avion et prises en
charge dans des hôtels luxueux, et au sein duquel le fonctionnariat est le
crédo.
Ali Redjimi fait partie de
ces criminels qui osent encore faire connaitre la course à pied, qui en
encourage la pratique qui font partager à leurs jeunes poulains (ayant l’âge de
leurs enfants ou de leurs petits enfants) le plaisir de courir, dans la boue
des champs et des forêts, lorsqu’ils ont débuté leur sacerdoce, et aujourd’hui dans les rues bitumées des
villes et des villages de l’Algérie profonde. Un criminel sans grand diplôme
qui se distingue des autres par l’œil perçant et discriminant du découvreur de
potentiels et par le savoir et l’intelligence des pionniers.
Un inconnu du grand public
qui n’est pas précédé par une réputation d’explorateur des coulisses et de
squatteur des hauts lieux du mouvement sportif national que sont les ligues, les
fédérations ou le ministère et surtout n’y fait pas carrière. Un inconnu aussi des
médias les plus réputés du pays qui, pourtant depuis quelques années, se
délectent des performances et des ratés du jeune talent sportif qu’il découvrit
et tailla, comme aurait fait un diamantaire d’un diamant brut pour lui donner
tout son éclat, jusqu’à le hisser sur le podium des Jeux Olympiques.
Ali Redjimi est le
découvreur et le formateur de ce gamin descendant des numides de Souk Ahras, à
portée de mains de la Tunisie voisine dont elle n’est séparée que par un oued,
qu’est Taoufik Makhloufi, le dernier des champions olympiques algériens du
demi-fond, le successeur de Nouredinne Morceli auquel il vient de ravir le
record national du 1 000 mètres.
Ali Redjimi appartient à la
race des humbles entraîneurs d’athlétisme (fort nombreux heureusement) dont on
ne reconnait pas (malheureusement) la qualité et les compétences et que l’on
dénigre pour une soi-disant absence de sens de la communication qui serait, en
ces milieux où une vénération devrait leur être portée, la qualité que l’on
doit affuter fréquemment à la meule pour bien figurer dans les salons. Pourtant,
Ali Redjimi possède une autre facette du sens de la communication qui le met à
la portée de ces gamins et gamines que les ténors de la discipline vont d’abord
récupérer puis utiliser pour se faire bien voir et ensuite grimper les échelons
de la hiérarchie dans une opération de marketing à moindre goût et à moindre
effort.
Ali Redjimi appartient à ce groupe d’individus qui passe le temps,
invisible aux yeux des autres, de ceux qui font et défont le monde de
l’athlétisme et se confondent avec le système. Il a acquis pourtant ces
derniers jours un peu de notoriété depuis qu’un entraîneur étranger salue avec
respect son œuvre.
En quelques mots sincères et empreints de simplicité, Philippe Dupont,
coach de Taoufik Makhloufi depuis le printemps, après avoir déclaré son respect,
lui reconnait d’abord la qualité de bien connaitre Taoufik « depuis
tout jeune », dit-il, et ensuite salue son niveau de compétence
car, affirme-t-il, « ce n’est pas un hasard s’il a réussi à faire
3’30 avec lui ». Une déclaration qui attribue à l’entraîneur une
part de la notoriété acquise par Taoufik Makhloufi. Le passage de témoin entre
Redjimi et Dupont s’est faite, selon ce dernier, "progressivement" dans un processus de transition basée sur une relation qui "doit être durable. On se
fait confiance totalement". Avec Dupont, le passé n’est pas
effacé. Le présent de la collaboration (championnat du monde de Pékin, août
2015), le proche avenir (jeux olympiques de Rio 2016), sur fond de titres et de
médailles, enfoncent leurs racines dans la connaissance de ce passé que
maîtrise mieux que quiconque sans doute Redjimi.
Très peu d’informations ont circulé sur la relation entre le champion
olympique et l’entraîneur de ses débuts, Ali Redjimi. Ce que l’on sait se
construit petitement à partir des reportages qui ont été consacrés à Taoufik
Makhloufi et aux déclarations qu’il a pu faire à des moments cruciaux de sa
carrière. Le technicien supérieur des sports l’a entraîné à partir de 2003
alors que le jeune Taoufik découvrait l’athlétisme dans la catégorie "minimes" au sein de la section d’athlétisme de l’association sportive
de la protection civile de Souk Ahras. Un apprentissage de la course à pied
dans des conditions parfois difficiles, comme celle de s’entraîner sur le bord
de la route à la lumière des phares de la voiture de l’entraîneur en dépit du
souhait de son père de le voir privilégier la poursuite des études.
On sait aussi qu’en 2008, Ali Redjimi, pour permettre à son athlète au
talent prometteur de poursuivre sa progression (Taoufik venait de remporter ses
premiers titres nationaux et d’honores ses premières sélections en équipe
nationale jeunes), l’orienta vers ce grand club de la capitale, placé sous le
parrainage de la Sonatrach - le Groupement sportif des pétroliers (l’ex-MCA)
disposant de moyens matériels et financiers plus conséquents que ceux de
l’ASPCSA - et la direction d’entrainement d’Amar Brahmia avec lequel le futur
champion olympique progressa jusqu’à atteindre le niveau continental aussi bien
sur 800 mètres que sur le 1 500.
Trois années plus tard, en plein été 2011, après une participation peu
glorieuse aux championnats du monde, Makhloufi pris la décision de quitter le
GSP et Brahmia. Ce divorce à l’amiable (après un titre africain et à l’approche
des J.O) n’a pas été expliqué.
Plus tard, après qu’il se soit séparé de Djamaa Adem, Makhloufi
exprima une opinion dépourvue de fioritures, "avant tout je dois dire qu’en
athlétisme, un athlète doit être tranquille et serein avec lui-même" et il explique que parfois, pour
parvenir à cet état d’esprit qui permet les grandes réussites "il doit changer d’environnement
et même d’entraîneur à la recherche d’une meilleure prise en charge". Il précisa ensuite qu’il
s’entendait très bien avec son ancien coach (Djamaa) avec lequel, ajouta-t-il, "j’entretiens de très bonnes
relations".
Pendant quelques temps, il s’entraîna seul avant de revenir (pour un
entrainement par correspondance) auprès de Redjimi, à la fin de la période
hivernale (février- début mai 2012) et rejoindre en mai 2012, quelques 3 mois
avant les jeux olympiques de Londres, le groupe d’entrainement de Djamaa
Adem.
Après la parenthèse Djamaa, Makhloufi revint se placer sous la
direction de Redjimi. En mai 2014, Il expliqua ce choix par la difficulté à
trouver des entraîneurs étrangers avec lesquels il puisse s’entendre.
Confrontés entre les exigences de ces derniers et l’utilisation des moyens de
bord (il dit à ce sujet "moi je me contente d’exploiter ce
que j’ai à ma disposition ")
et une philosophie qui fait que "l’entraîneur
n’est qu’un moyen et que l’essentiel reste les capacités de l’athlète" illustrant fort bien le rôle quasi
secondaire (utilitaire, pourrions nous dire) qu’il accorde à l’entraîneur,
Makhloufi s’est décidé à "prendre
celui qui m’a découvert pour travailler avec lui ". Toutefois, ce
choix n’est pas un pis-aller. Makhloufi dit de Redjimi "qu’il dispose des grandes qualités et qu’il n’a rien à envier aux
étrangers".
Mais, au final, ce qui aurait fait pencher, à ce moment-là, le fléau
de la balance, c’est également une forme de reconnaissance, de gratitude née du
fait que "dans
les moments difficiles j’avais toujours fais appel à lui et il a toujours
répondu présent par ses conseils qui m’ont été d’une grande utilité ".
Cette reconstruction historique laborieuse pourrait être une possible
explication à l’entêtement dont le nouveau recordman national du 1 000
mètres fit preuve dans la confrontation très polémique qu’il eut au début de la
préparation hivernale 2014-2015.
Certaines sources laissent entendre que Makhloufi considérant, envers et
contre tous, qu’Ali Redjimi (bien que ne répondant pas aux critères
administratifs) était l’entraîneur qui devait l’accompagner aux Etats Unis,
s’opposa fermement à la désignation d’un entraîneur par la fédération. Le cœur
du conflit avec la fédération et le ministère et non pas une question de
financement.
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