dimanche 29 avril 2018

Ali Saidi-Sief (27), Au cœur de la mêlée


Le fonctionnement de la filière des corps constitués est basé sur un recrutement, le souvent en qualité de « contractuels » (dans le jargon usité par les spécialistes de la GRH et du droit du travail on devrait dire des CDD), des meilleurs athlètes nationaux dans ces corps (l’armée, la police, les services pénitentiaires, la douane, les pompiers) ou des établissements publics (chemins de fer, postes) avec pour activité essentielle l’entraînement et la participation à des stages de préparation et à des compétitions via un détachement pour raison sportive.

Bien qu’une cartographie sérieuse des mouvements migratoires internes des sportifs reste à élaborer, il a été remarqué (intuitivement) une tendance qu’il faudrait certainement actualiser pour s’assurer de sa validité actuelle.  Il fut un temps où les coureurs de la région de Sétif optaient plutôt pour  le club de la police tandis que les coureurs de Souk Ahras, Guelma, Tébessa choisissaient celui de l’armée.

Ces deux équipes exerçaient une attraction indéniable. Elles monopolisaient les meilleures places (individuelles et collectives) des cross-countries, courses sur  route et courses de demi-fond. Les observateurs les plus anciens, véritables mémoires vivantes de l’athlétisme algérien, attesteront que la rivalité intense qui mettait aux prises le Mouloudia  à l’ASSN (le club de la police) et au CMEPS (le club de l’armée) alimentait la chronique athlétique.

En particulier à la veille des championnats nationaux. Aujourd’hui, un autre corps constitué est venu s’ajouter. La Protection Civile s’est placée (avec un certain succès) dans cette confrontation sportive qui a, il est vrai, un peu  perdu (la stagnation-régression des niveaux et surtout la densité des performances en fait foi) de son charme d’antan et met aux prises d’autres protagonistes.

Le champion de Hamma Bouziane ne s’est guère exprimé sur cette période. Nous dirons qu’il s’est retrouvé engluer dans un monde de « professionnels de façade » où la « complémentation alimentaire », la « préparation biologique » étaient à la mode. Toutefois, on parlait peu en public, en dehors du milieu, en présence d’inconnus.

Observons, que des insinuations étaient relayées à propos de cette complémentation alimentaire. Elle était associée (la personnalité de ses initiateurs, les performances de leurs athlètes ayant favorisé les commérages) avec la  préparation biologique et même avec le dopage qui, pour des raisons diverses, alimentaient les discussions.

Dans un milieu ouvert à la mesquinerie, à la jalousie, à une mise en avant d’égos surdimensionnés, il fallait, pour exister dans la foire aux louanges, pendre part aux dénigrements (selon les cibles choisies par le groupe duquel on était le plus proche) sur les performances et titres des champions du monde du 1 500 m, Hassiba Boulmerka et Noureddine Morceli, alors représentants algériens de deux écoles : l’école de l’Europe de l’Est et l’école des Occidentaux et qui plus est des Etats Unis. Quant à ce qui est des lanceurs et des athlètes complets (décathlon et heptathlon), les accusations étaient à peine voilées.

Les insinuations et les accusations étaient évidemment favorisées par les succès de certains entraineurs nationaux. Elles l’étaient également, disait alors la « vox sportiva », par des usages qui auraient été introduits dans les cartables des entraîneurs soviétiques et de l’ex-Allemagne de l’Est, élevés aux rangs de coopérants techniques, sous le couvert de ce qui aurait relevé  du transfert de technologie fort à la vogue.

Vraies ou fausses, ces allégations eurent le vent en poupe. Elles avaient été raffermies par la multiplication de stages de préparation organisés en ces pays de l’ex-Europe de l’Est, ceux du Pacte de Varsovie ou d’autres nations idéologiquement proches (Cuba). Ce sont des pays qui seront quelques années plus tard stigmatisés pour s’être engagés dans ce qui a été dénommée « systématisation étatique du dopage ».

jeudi 26 avril 2018

Ali Saidi Sief (26), Le miroir aux alouettes



Cette activité fondamentale (assurant le nécessaire et la sécurité.. de l’emploi correspondant au premier stade de la hiérarchie des besoins établie par Abraham Maslow) est complétée par une activité complémentaire conventionnée avec un club d’athlétisme.

Cette activité secondaire est couverte par une indemnisation. Initialement interdite par la législation sportive introduisant le professionnalisme, cette forme de rémunération (des entraîneurs et des athlètes) a fait l’objet d’une légalisation par amendement des décrets sous la pression des lobbies sportifs exploitant fort opportunément l’affaiblissement des pouvoirs publics en prise avec la grogne populaire et la menace d’une grève des championnats qui aurait perturbé la quiétude de façade.

Enfin, le troisième volet du triptyque qui n’est pas encore généralisé (le phénomène est d’apparition  récente) parait être réservé à quelques entraîneurs dont la valeur marchande et la notoriété ont été boostées par l’intégration dans les staffs fédéraux ou leurs parcours.

Il s’agit le plus souvent d’une relation « informelle » (non conventionnelle) de partage des gains des athlètes proche par certains aspects du racket.

Nous dirons que, pour en revenir à Ali Saïdi-Sief, dans le contexte de l’époque, la décision de rejoindre le Mouloudia était pour l’athlète quasiment inévitable. Pour un jeune sans avenir en dehors du sport, elle était la solution la plus rationnelle. Du moins, la moins aventureuse.

Il faut retenir qu’en ce temps-là, la gestion des clubs (imbriqués dans un modèle économique défaillant et en voie de mutation) était extrêmement difficile.

Les grands clubs d’athlétisme de Constantine (DNCC puis EC Mila, CMC-CSC, AJC-MOC), les plus à même de l’accompagner, avaient disparu ou survivaient en connaissant les pires difficultés. Ils étaient (pour la majorité) incapables d’assurer le strict minimum du fonctionnement normal de leurs activités.

Cette situation était généralisée. Les associations les plus emblématiques des autres capitales régionales (Sétif, Batna) n’échappaient pas au marasme général. Elles étaient confrontées à la même situation difficile. Y compris, mais à un degré moindre, Annaba (dont le club principal était pourtant parrainé par le gigantesque complexe sidérurgique d’El Hadjar) que l’on prétendait pourtant mieux lotie.

Disons que tous les clubs régionaux étaient touchés par le phénomène de l’ « appel d’air »  algérois. Les athlètes étaient attirés par la lumière, les promesses des clubs les plus résistants.

Lorsque Saïdi-Sief fait son apparition aux premiers rangs des jeunes talents de l’athlétisme algérien (1996), les plus prometteurs des athlètes de l’ex-département colonial migraient vers Alger, véritable miroir aux alouettes de tous les sportifs algériens. En fait, de tous les Algériens ambitionnant de réussir.

Depuis une dizaine d’année, le milieu de la décennie 1980 correspondant peu ou prou aux titres internationaux « jeunes » remportés par les athlètes constantinois (titres africains junior du 800 et du 1500 de Mounir Alloui, entraîné par Kamel Benmissi et du titre de championne arabe junior de cross-country  de Hassiba Boulmerka, entraînée par Abboud Labed), le phénomène de migration s’était accru.

Comme tant d’autres (avant et après lui), Ali Saïdi-Sief, a été désorienté par les multiples tentations offertes. Il se retrouva dans la peau de ce Rastignac popularisé par Balzac. Comme ses prédécesseurs puis ses successeurs, il avait choisi la voie royale celle qui passe par le soutien de la toute puissante compagnie nationale pétrolière, véritable Etat dans l’Etat.

D’autres jeunes coureurs de l’espace oriental algérien avaient eu une préférence pour une autre filière. Moins rémunératrice sur le plan financier. Celle-ci  traverse l’histoire de l’athlétisme algérien. Elle aboutissait (cela se  poursuit  jusqu’à nos jours) aux clubs créés au sein des corps constitués. Ceux-ci  représentaient une forme de « professionnalisme marron », un professionnalisme ne s’avouait pas en tant que tel, qui a également eu (et a toujours) cours en Europe occidentale et orientale, en Amériques et en Afrique.

dimanche 22 avril 2018

Ali Saidi Sief (25), Les variantes du professionnalisme

Avec Ammar Brahmia (nous nous garderons d’oublier Mohamed Djouad qui fut le patron du club), le Mouloudia mixait les éléments primordiaux de ces deux visions (professionnalisme étatique et professionnalisme libéral) pourtant d’apparence contradictoire. 

Les acquis de l’athlète-fonctionnarisé étaient étroitement intriqués aux avantages introduits par la naissance,  au plan international,  de l’athlétisme professionnel dans la forme légalisée des nouvelles conceptions de l’IAAF et du mouvement olympique.

Sous l’influence des « aristocraties » franco-britannique, l’athlétisme, discipline par excellence de l’olympisme, ne reconnaissait pas, avant les années 1980, le professionnalisme. La mention « athlétisme amateur » figurait dans l’intitulé de l’IAAF (« fédération internationale d’athlétisme amateur ») qui avec ce changement devint la « fédération internationale des associations d’athlétisme ».

Cette perception, aujourd’hui anachronique de la pratique sportive réservée à une élite sociale a été le fondement idéologisé des Jeux Olympiques (la principale compétition d’athlétisme puisque les premiers championnats du monde ne se déroulèrent qu’en 1983) avait conduit à la disqualification de grands champions tels l’Amérindien Jim Thorpe, du Français Jules Ladoumègue, de l’Algérien Boughera El Ouafi)  lesquels,  pour des motifs alimentaires, avaient enfreint la règle établie.  

Cette nouvelle approche de l’athlétisme était assortie de l’intervention, sous forme de sponsoring, des équipementiers et de la distribution de primes de notoriété et de résultats dans les meetings et la mise en place d’un circuit de compétions (richement doté) dénommé successivement « Grand Prix IAAF-Mobil », « Golden League » puis « Diamond League ».

Sur la trace de ces équipementiers sportifs (Adidas, Puma, Nike, etc.), se sont engouffrés d’autres multinationales attirées par le formidable et alléchant support médiatique que sont les champions.

Ali Saïdi-Sief était junior première année lorsque le résultat de Tarf attira l’attention sur lui. Les conseils d’entraîneurs avisés lui firent adopter la voie menant à « la montée sur la capitale ». Ces entraîneurs n’étaient pas toujours désintéressés. Mais, ils l’étaient plus que ceux qui animent le mouvement sportif national d’aujourd’hui qui sont devenus des « coaches » monnayant leurs compétences.

« Coach » est un néologisme d’origine anglo-saxonne. Il est porteur de la perception nouvelle de la fonction dont la forme fait l’objet d’une compréhension particulière par une partie de la corporation en phase (il faut l’admettre) avec son environnement complétement débridé.

Le vocable « coach » ne déroge guère à la relation qu’ont les fonctionnaires algériens (tous secteurs confondus) avec l’exercice de leur profession. Celle-ci se définit, dans la pratique quotidienne, par la double (ou multiple) activité (commerce, entreprises, chauffeurs clandestins, cours dits de soutien). Elle illustre, pour ceux qui en furent les pionniers, à la fois la précarité pécuniaire de la catégorie socio-professionnelle induite par les grilles de salaire et la perception qu’ont les éducateurs du volume horaire d’activité auquel leur statut les oblige et de la rentabilité temporelle.

Pour beaucoup d’entraineurs (dans le répertoire récent des emplois du secteur, ils sont classés dans la catégorie des éducateurs) cela signifie au minimum le port d’une double casquette : « entraîneur-  fonctionnaire », rémunéré par la Fonction Publique, et « entraîneur libéral », défrayé complémentairement par les athlètes intégrant leurs groupes d’entraînement et partageant (selon des pourcentages convenus) les primes et indemnités, etc. 

Il existe une autre variante. Elle est si ancienne qu’elle s’apparente à une tradition que nul ne peut ébranler. Elle fait partie des acquis sociaux que le multi-syndicalisme rentier défend avec opiniâtreté.

Cette variante se rapporte à une forme d’essence prédatrice matérialisée d’abord par une activité rémunérée par la Fonction Publique consistant en une affectation à un club (pour l’athlétisme, il s’agit le plus souvent des clubs handisport) ou dans une autre structure du département ministériel (ligues) ou d’un autrement ministère (éducation nationale, enseignement supérieur).

jeudi 19 avril 2018

Ali Saidi-Sief (24), Le Mouloudia jalousé


La voie des études universitaires ou de la formation professionnelle étant fermée, Ali Saïdi-Sief n’avait que deux options. La première était le trabendo, synonyme de débrouille, de commerce informel matérialisé par la vente de cigarettes, de parfums, de gadgets et babioles en tous genres importés de Chine auquel s’adonnent les jeunes sans perspectives sérieuses d’avenir. Une voie qui conduit également à toutes les  déviances, à tous les trafics. En fait, le trabendo a été la mise en visibilité de la précarité, de ce qui deviendra le « commerce souterrain ».  

La seconde option était un peu plus prestigieuse. Elle empruntait la voie du sport de haut niveau. La course à pied lui tendait les bras avec Hassiba Boulmerka (et les autres nombreuses stars locales) comme exemple vivant et visible d’une certaine réussite sociale n’atteignant pas toutefois celle réservée aux footballeurs.

Remarquons aussi qu’en choisissant la seconde option, Ali Saïdi-Sief s’est inscrit dans la vision élitiste qui était alors celle prônée par les pouvoirs publics et que portait à bouts de bras la fédération algérienne d’athlétisme.

Pour pouvoir intégré cette élite nationale, le jeune Saïdi-Sief, savait intuitivement (via les on-dit si nombreux) qu’il empruntait, dans ce magma qu’était la répartition incomprise des missions contenues dans la loi, le raccourci vers la gloire sportive proposé aux jeunes sportifs talentueux, de toutes les disciplines sportives et de  tous horizons, par le Mouloudia d’Alger.

De tous temps (en vérité depuis 1976 et l’avènement de la réforme sportive qui conditionna plusieurs générations de sportifs), le Mouloudia (club omnisports parrainé par la Sonatrach, la puissante compagnie pétrolière nationale productrice de l’essentiel des ressources financières du pays et de 99% du PIB national)  a offert le must en matière de prise en charge des jeunes talents et des sportifs confirmés.

Cette prise en charge n’avait rien à envier à celle de la fédération perçue comme une institution toute puissante, dominatrice. Bien au contraire, le Mouloudia fut en permanence jalousé par des techniciens et gestionnaires fédéraux envieux, aigris n’ayant pas su contracter de bonnes relations interpersonnelles et inter-structurelles avec le club pétrolier. La perspective d’une complémentarité profitable à toutes les parties a souvent été une vue de l’esprit pour des responsables plutôt enclins à entretenir les relations conflictuelles, une rivalité qui n’avait pas lieu d’être.

Dépendante des subventions accordées par la puissance publique, la fédération avait mis en place un modèle qui dura longtemps, quelques trois décennies. Au point qu’il conditionne jusqu’à aujourd’hui les esprits et les attentes. Les jérémiades continues des athlètes et des entraîneurs, matraqués par les récits des avantages accordés par le club mouloudéens et assommés par la léthargie fédérale, en sont la meilleure preuve qui puisse être donnée.

En sa qualité de plus grand club du pays, le Mouloudia d’Alger (et ce avant même qu’il ne devienne le GSP, le Groupement Sportif des Pétroliers, association sportive omnisports née de la scission d’avec la section football) a toujours été l’antichambre des équipes nationales.

Il ne serait à peine exagéré d’affirmer que, au cours de certaines périodes, le Mouloudia se confondait avec les représentations nationales. En des temps difficiles, quand la guerre des égos, la lutte pour le pouvoir sportif ne se manifestait pas par des clivages, il a été le substitut idéal aux insuffisances financières de la fédération qui récoltait les fruits d’une politique qui n’a pas été la sienne et dont elle n’avait en définitive pas les moyens.

Ammar Brahmia (alors directeur technique sportif du MCA et manager de Morceli) avait repéré le jeune constantinois. En premier lieu, il lui ouvrait, toutes grandes, les portes du professionnalisme à la mode étatique. Ensuite, il lui entrouvrait celles du professionnalisme libéral entrevu et rodé pendant l’épopée de Noureddine Morceli.


mardi 17 avril 2018

Ali Saidi-Sief (23), Regards sur la carte


Saidi-Sief termina à la 5ème place du championnat national junior de cross-country 1996 qui le révéla aux observateurs nationaux. Dans le peloton des concurrents, Sidi Sief était, avec son gabarit déjà impressionnant, une véritable force de la nature. Un peu à l’image d’ailleurs de Boulhadid, son entraîneur d’alors.

Remarquons, avant toute autre chose, que pour les anciens entraîneurs et dirigeants évoqués précédemment, la place, le résultat de Saïdi-Sief dans cette compétition nationale n’avait rien de  véritablement surprenant.

Le département de Constantine, tel qu’il avait été pensé par les administrateurs de la puissance coloniale  partageant l’Algérie en trois départements (Alger, Oran et Constantine), formait un territoire allant (dans le sens Ouest-Est) de Bejaïa à la frontière algéro-tunisienne (Tébessa, Souk-Ahras), et (dans le sens Sud-Nord) des limites des départements actuels de M’Sila, Sétif, Bordj Bou Arreridj, Batna, Khenchela à la mer Méditerranée. 

Les puristes de la géographie de l’athlétisme national remarqueront que nous n’avons pas retenu, dans ce découpage, les wilayas du Sud-Est (El Oued et Biskra) et la bande côtière orientale (Jijel, Skikda, Annaba, El Tarf) que nous considérerons (les résultats des années antérieures à 1996 inspirent cette opinion) comme des wilayas plutôt longtemps portées vers les épreuves de sprints et de sauts. Une « spécialisation » que les années mettrons à mal et que Béchar (Sud-Ouest) avait annoncé, dès cette époque du sport scolaire flamboyant.

Ce vaste département de Constantine a été, depuis des temps oubliés par les mémoires, un vivier sans cesse renouvelé de jeunes coureurs de cross-country et de demi-fond. Le mythe de la nature aidant incontestablement au développement de la course à pied est (il nous faut le reconnaître) à proximité.

L’altitude de ce département y varie globalement (pour les agglomérations importantes citées plus haut) entre 1 000 m et 1 300m. A titre indicatif, le stade Ramdane Ben Abdelmalek est situé à environ 650 mètres au-dessus du niveau de la mer. Anciennement stade de l’armée coloniale versé au patrimoine de la ville 1925, ce haut-lieu emblématique de l’histoire athlétique de Constantine débutant avant le 20ème siècle a supplanté le « stade de la Pépinière » avant de lui céder à nouveau l’honneur lorsque  sera édifie l’ensemble sportif de l’OPOW dénommé d’abord  « stade du 17 juin » avant qu’il ne devienne ensuite « stade Hamlaoui ».

Dans la partie orientale de ces Hauts-Plateaux traversant le pays d’Ouest en Est, entre les deux chaînes de l’Atlas Tellien et de l’Atlas saharien, la population essentiellement rurale et montagnarde était confrontée à la dureté de la vie quotidienne, à des conditions climatiques oscillant entre les deux extrêmes, à des distances importantes à parcourir entre les lieux de vie (les mechtas) et les centres de modernité (écoles, centres administratifs et financiers, centres de soins, etc.).

Tout conduit immanquablement à amener à l’esprit des éléments d’analyse confortant un sentiment de similarité avec les conditions propices à l’atteinte de résultats chronométriques de première grandeur que l’on décrit en explication de la supériorité des coureurs de la Corne de l’Afrique avant que ceux-ci ne soient rattrapés par les démons du dopage. Les mythes prévalant pour expliquer cette supériorité des coureurs  des hautes plaines du Kenya, Ethiopie, Erythrée, etc. ne pouvaient qu’être présents dans les idées préconçues. Cette pensée était raffermie par la longue liste des meilleurs performers algériens issus de cette région et de celles de la partie occidentale (Chlef, Médéa, Tiaret, Saïda, Tlemcen).

Sur le plan social, le choix offert à Saidi-Sief (et à beaucoup de jeunes de sa génération) était limité. Nous avons vu quels furent ceux de Miloud Abaoub et de Youssef Abdi qui privilégièrent l’exil. Pour Saïdi-Sief, deux alternatives s’offraient à lui : le trabendo ou le professionnalisme.

dimanche 15 avril 2018

Ali Saidi-Sief (22), Le coup d’œil des experts


Cherif Grabsi a été le premier à avoir cité, devant nous, le nom  de ce futur champion. Ce coureur des années 60, était un peu moins oublié que la majorité des athlètes de son époque. Sans doute parce qu’il continue de « militer » en tant qu’entraîneur et officiel. Trente ans auparavant, en 1965, il a été membre de la première sélection nationale  ayant couru (en compagnie de son collègue de travail  et coéquipier, Erridir) le « Cross des Nations », l’ancêtre de championnats du monde de cross-country.

Employé des Postes et Télécommunication et entraineur à l’ASPTT de Constantine, Chérif Grabsi appartient à cette catégorie remarquable  d’entraîneurs ayant su faire évoluer progressivement leurs niveaux de compétence sans avoir transité par les grandes écoles de formation. Cet autodidacte (il est cependant titulaire du diplôme d’entraîneur du 3ème degré à comparer au diplôme de technicien supérieur des sports et conseiller des sports) a le mérite de s’être perfectionné régulièrement auprès des meilleurs encadreurs nationaux et étrangers partageurs de connaissances.

En cela, il rejoint beaucoup de ses confrères, ceux qui furent (en ces temps aujourd’hui bien lointains) ses rivaux sur les parcours de cross-country et sur les pistes en cendrée. Des personnes admirables en tous points de vue dont on n’a pas suffisamment reconnu la valeur et l’apport à l’athlétisme national au cours des décennies qui se sont écoulées de l’indépendance au tournant du millénaire que furent les jeux olympiques de Sidney 2000.

Ce furent (la liste n’est pas exhaustive) les Tayeb M’Ghezzy-Chaa, Mohamed Mechkal, Ahcène Amri (cheville ouvrière du sport militaire),  Djamel Si Mohamed (au sports scolaires) aux côtés de tant d’autres, disparus ou encore en vie (dont Mohamed Gouasmi que l’on retrouvait auprès de l’équipe nationale de cross et demi-fond et à proximité des policiers), qui furent à l’éclosion de tant de champions brillants à l’international, sur les plans individuel et collectif.

Cherif Grabsi avait le coup d’œil du détecteur de talents et la compétence indispensable à la formation de jeunes champions de demi-fond. On ne peut reconstituer la longue liste des coureurs et coureuses de demi-fond  qu’il a mené en équipes nationales jeunes et aux championnats du monde junior de cross-country et d’athlétisme.

Deux des athlètes entraînés par Grabsi (Riad Gatte et Tarek Zoghmar) ont la particularité d’avoir été les partenaires d’entrainement de Hassiba Boulmerka dans le groupe constitué, par la fédération autour d’Amar Bouras.

Par bien des aspects, ainsi que nous avons eu à le remarquer, ce groupe préfigura celui qui se constitua autour d’Adem Djamaa. Un groupe d’athlète (un « team » dit-on aujourd’hui) dans lequel évolue l’Ethiopienne Genzebe Dibaba qui elle aussi s’entraine avec des hommes. 

Il fut également un des premiers à prendre conscience que, compte tenu du contexte, il était devenu impossible, depuis l’affaiblissement progressif de la DNC Constantine, de lutter contre le système qui se mettait alors en place. Comme tant d’autres, il s’était rendu compte de l’inanité des efforts à tenter de conserver à tous prix ces talents que se disputaient le Mouloudia, l’armée et la police.

Grabsi Cherif n’avait aucun intérêt particulier à évoquer Ali Saïdi-Sief si ce n’est (ce fut un trait constant de sa relation avec les athlètes et les autres entraîneurs) celui de participer à la valorisation des athlètes laissant percer de bonnes perspectives d’avenir.

Nous dirons aussi que son appréciation mettait implicitement en exergue (cela fait partie de son mode intuitif et habituel de pensée et de sa perception du monde) une forme de chaîne de transmission de connaissances, de savoir et de savoir-faire, puisque l’entraîneur du junior Saïdi-Sief avait été son athlète.

lundi 9 avril 2018

Ali Saidi Sief (21), En dessous des cartes


En fait, le potentiel indéniable des gamins et des gamines de Hamma-Bouziane (comme ceux des localités avoisinantes d’El Khroub, de Chelghoum-Laïd dans la wilaya de Mila ou d’ailleurs), stimulaient une perception et un discours comparable à celui tenu par les structures constantinoises vis-à-vis de ce qui est décrit comme l’algérocentrisme et d’un univers globalisant basé sur le principe du « centralisme démocratique ».

Ce principe, régissant l’ensemble de l’organisation sociale, dans ses dimensions administrative, économique et politique, est battu en brèche par un désir, de plus en plus puissant et plus souvent exprimé, d’émancipation de l’emprise entretenue par les grandes métropoles, en particulier de celles se voulant capitales régionales.

C’est ce qui dans les discours universitaires, sportifs et journalistiques a été traduit par la sacro-sainte démocratisation du sport se manifestant en particulier dans la politique d’investissements prônant la réalisation d’infrastructures élitistes dans les endroits les plus reculés du pays. La conséquence de la mégalomanie qui traverse le monde sportif.

Aujourd’hui, Hamma-Bouziane recense un médaillé olympique (Saïdi-Sief), un sélectionné pour les  championnats du monde et les jeux olympiques (le marathonien Tayeb Filali). Triki Yasser (natif d’Ibn-Ziad), la nouvelle perle du saut en longueur algérien est un voisin proche.

La nature humaine apprécie le mimétisme, la reproduction fidèle, les « copier-coller » de la modernité   numérique. Hamma-Bouziane s’est, depuis l’avènement de Saïdi-Sief, lancée dans la reconduction de l’univers athlétique.

Hamma-Bouziane a donc emprunté à Constantine ville suzeraine, le mode du déploiement (que l’on retrouve aussi en d’autres régions) à l’infini de l’athlétisme. Cette extension du domaine athlétique se fonde essentiellement sur des rivalités personnelles, des inimitiés de techniciens et de la soif de pouvoir ou de réussite.  

Elle mène à la création de clubs rivaux, aux  pillages d’athlètes et à de nouvelles répartitions de subventions sans que l’enveloppe globale ne soit notablement augmentée. En dépit de ces créations, la densité athlétique n’évolue guère. Hamma-Bouziane recense trois clubs d’athlétisme et organise une course sur route solidement ancrée dans les traditions de la cité. Elle attend aussi la réception de son complexe sportif de daïra doté d’une piste d’athlétisme. Les résultats sportifs se limitent au niveau régional.

Il faut dire pour comprendre ce phénomène que Hamma-Bouziane, à l’image des ex-petites villes de la couronne constantinoise, est confrontées à un boum démographique effarant. L’augmentation galopante de la population s’appuie sur deux paramètres.

Le premier se situe dans le caractère considéré « normal » du développement citadin se fondant sur deux phénomènes sociaux : la vigueur du taux de natalité et l’exode rural. Le second paramètre repose sur une dimension que nous qualifierons d’« artificielle » consécutive aux relogements de deux types de population.

La première de ces deux populations est de citadinisation récente. Elle est arrivée dans la périphérie constantinoise, occupant les aires d’habitats précaires, à partir des années 80 et de la « décennie noire ».

La seconde, une délocalisation massive de groupements humains se déclinant par un exode urbain, de la ville vers une campagne qui ne l’est plus, est formée par la population des quartiers séculaires intra-muros, celle de la « vieille ville » (s’opposant à la « nouvelle ville » d’Ali Mendjeli aussi peuplée que Constantine) tombant en ruines, de tradition citadine plus ancienne remontant d’abord à la guerre de libération puis, dans un deuxième temps à la période de l’exode rural qui accompagna la politique d’industrialisation ayant fait de Constantine et de ses alentours un des pôles nationaux de l’industrie mécanique..


Lorsqu’Ali Saïdi-Sief montra le bout de son nez aux  championnats nationaux de cross organisés à El Tarf, un seul club existait à Hamma-Bouziane.

jeudi 5 avril 2018

Ali Saidi Sief (20), Les gorges du Rémis


La citadelle, perchée sur son rocher surplombant la vallée de l’Oued Rhumel et Hamma-Bouziane qui fut autrefois une immense étendue de jardins (aujourd’hui détruite, recouverte par les poussières émanant des cheminées de la gigantesque cimenterie dominant la plaine), méconnait l’histoire qui regorge pourtant de faits similaires à ceux accolés à la Rome antique.

De plus, ces méfaits contrastent indéniablement avec la délicatesse et la préciosité culturelle et civilisationnelle que l’Histoire s’accorde à attribuer aux harems dont se sont dotés les occupants sanguinaires venus de Constantinople et les demeures bâties sur le modèle rapporté d’Andalousie par les réfugiés morisques.

Des récits proposent la geste tragique de courtisans de la cour beylicale jetés (après un transport par les souterrains joignant le Palais aux précipices) dans le Rémis (« les gorges de l’Oued Rhumel » dans l’expression dialectale locale forgée au début du 20ème siècle) pour avoir déplu, par les actes ou par les paroles, au seigneur Bey de Constantine, féal du Dey d’Alger, vassal du Sultan de la Porte Sublime.

Comme cela fut souvent le cas dans le milieu de l’athlétisme algérien, la carrière sportive d’Ali Saïdi-Sief ne tint à presque rien, à un fil. Elle fut le produit de concours de circonstances, d’enchaînements factuels qui, selon les époques, furent bénéfiques ou maléfiques. Ali Saïdi-Sief connut les deux variantes. 
Au milieu de la décennie 90, Ali Saidi-Sief, le futur médaillé d’argent du 5 000 des jeux olympiques de Sidney (2000) avant d’être, une année plus tard, le premier athlète Algérien reconnu internationalement pour avoir été suspendu en raison de faits de dopage, était un illustre inconnu y compris dans son village natal.

L’athlétisme y était émergeant, quasiment inexistant en terme de performances de premier plan. Il faudrait en vérité percevoir la première discipline olympique en termes de course à pied elle-même limitée, comme dans tant de villages et de petites villes de l’ « Algérie profonde », à des compétitions de courses sur route organisées le plus souvent dans les rues des villages et des villes.

Des organisations mises sur pied le plus souvent, en ces localités retirées, par les enseignants d’EPS dans le cadre du sport scolaire et par les autorités locales, contraintes de se plier aux injonctions péremptoires et autres résolutions coercitives des instances supérieure du Parti unique et de l’Administration. Il fallait en passer par là afin de préserver et de booster leurs carrières administratives et politiques. Déjà à cette époque, l’ascension sociale était impulsée par le carriérisme politico-administratif, l’alliance entre le Parti et l’Administration.

Ces compétitions  étaient organisées à l’occasion des phases du  « cross du Parti et des APC » et par la suite (à partir de 1990, le parti unique n’étant plus en odeur de sainteté avec l’avènement du multipartisme) du « Cross de la Jeunesse ».

Par bonheur, un club naitra à Hamma-Bouziane. Il rejoignit la modeste dizaine de clubs de la ligue constantinoise d’athlétisme dont l’étendue, au fil des bouleversements imposés par les découpages administratifs successifs, s’est rétrécie comme une peau de chagrin dès avant le recouvrement de la souveraineté nationale et la fin, par redécoupage administratif successif, du département de Constantine, l’une des trois entités administratives de l’Algérie coloniale.

A Hamma-Bouziane, comme partout ailleurs, la naissance du club fut portée par d’anciens athlètes convertis en techniciens supérieurs des sports. Le but était d’éviter aux adolescents de la bourgade les déplacements, longs, fastidieux et coûteux alors, sur Constantine, de leurs procurer une activité sur place, à domicile. Au-delà de ce prétexte louable, il y avait l’ambition de démontrer que les talents y existaient mais qu’ils ne disposaient pas de l’exposition nécessaire, étouffée qu’elle était par l’emprise des entraineurs et des clubs constantinois.

mardi 3 avril 2018

Ali Saidi Sief (19), Chevauchée temporelle


Quant aux arts martiaux, ils s’étaient été transformés, gommant impitoyablement les philosophies accompagnatrices de spiritualités existantes dans leurs biotopes d’origine, en sports utilitaires. Dès la décennie 1980, ils furent un instrument d’embrigadement et de préparation physique des acteurs (et futurs acteurs) des maquis armés islamistes.
Puis, l’essor fulgurant de la pratique (satisfaisant le goût immodéré pour des statistiques réductrices) semble  indiquer la présence d’autres dimensions dont celle de l’élévation (par l’enseignement à de jeunes enfants) des arts martiaux au rang de moyens de défense et de survie, difficilement assurées dans le cadre de l’ordre public.
Les « écoles » issues de ce mouvement multiplié et diversifié à l’infini, l’apparition d’arts martiaux inconnus ou du moins confidentiels s’inscrivent au plus près de la perspective philosophique se dégageant du corpus juridique en vigueur au cours de la décennie 1990.
Elles chevauchent la vision socialisante (mise à disposition des infrastructures étatiques, auberges de  jeunesse, maisons de jeunes, salles omnisports, terrains de jeux, etc.). Elles ouvrent la voie à la « bazarisation » perceptible dans la présence d’un « Maître » empochant les frais d’adhésion et les cotisations.   
C’est dans ce contexte général (décrit à grands traits et proche de la caricature) qu’Ali Saïdi-Sief apparait aux championnats d’Algérie junior de cross-country de la saison 95-96. Nous lui avons consacré une chronique (cf. « Sous l’olivier n°272. Jeunes talents (4). De l’Olympe au royaume d’Hadès » du 21 mars 2016).
Rien ne prédestinait Ali Saïdi-Sief ni à la gloire éphémère ni à la chute abyssale qui furent les siennes. Comme  jadis les sénateurs exclus des cercles romains du pouvoir, il apprit à ses dépens que « la roche Tarpéienne est proche du Capitole ».
Plus prosaïquement, enfermé dans sa bulle hermétique, il n’avait pas perçu que, dans la vie normale (celle qui se déroule en dehors des stades et des centres d’entraînement), dans un système impérial, la frontière est ténue entre les louanges populaires et les vociférations populistes.
Pour son malheur, Ali Saïdi-Sief (dont la scolarité fut, à l’instar de beaucoup d’athlètes d’élite, des plus courtes) ne pouvait retenir des leçons d’histoire qui ne furent jamais prodiguées dans les établissements scolaires de Hamma-Bouziane où il a grandi et au sein desquels les références à la culture gréco-romaine sont absentes.
D’ailleurs, aurait-il pu en prendre connaissance dans son immersion au sein d’un environnement où les récits mythologiques de l’Antiquité grecque et romaine ne sont plus enseignés par le système socio-éducatif algérien ?
Ces référentiels culturels exogènes renvoient (dans l’esprit des pédagogues contemporains oublieux de la part importante d’enrichissements cognitifs et philosophiques apportés à l’ « âge d’or » de l’Islam par Platon, Socrate, Aristote, Marc Aurèle, etc.) à une de ces périodes d’obscurantisme préislamique, antérieure à la Révélation du message divin, que le soumis à Allah devrait, selon leurs prescriptions, rejeter.
L’Histoire enseignée survole aussi les faits contenus dans les récits historiques enfantés par la période ottomane qui pourtant façonna fortement les traditions citadines de cette Constantine à la fois si proche et si lointaine (bien que distante d’à peine 8 kilomètres) de l’ancienne Hamma-Plaisance.
 L’ancienne Cirta, cité multimillénaire (plus de deux millénaires et demi se sont écoulés depuis son érection en tant que capitale de l’immense empire constitué par l’aguellid Massinissa) fut la capitale des royaumes numides alliés ou adversaires des contemporains des Césars successifs, maîtres de l’Empire romain dominant le bassin méditerranéen puis, au fil des siècles et des épisodes historiques, siège de multiples territoires régionaux.  
Elle devint une possession de l’empire ottoman qui fit de Hamma-Bouziane une immensité de jardins, de territoires, propriétés de l’aristocratie occupante appréciant les parfums de l’industrie artisanale productrice d’« el ma ouard », à partir de la distillation des pétales de rose.