Les courses du 1500 m au 5000 m (les
deux distances qui nous intéressent présentement car ce furent celles où se
réalisèrent les exploits) sont fondées sur des qualités physiques faisant appel
essentiellement aux notions d’endurance et de résistance.
Se greffant sur les performances hors
du commun qui furent celles de Hassiba Boulmerka et de Noureddine Morceli,
elles se sont adjoint une autre dimension. Celle-ci n’a aucun rapport avec le
sport. Elle touche au psychologique et au sociologique.
La résilience a acquis, en ces
temps apocalyptiques, une dimension socio-politique essentiellement arc-boutée
sur l’identité nationale légitimée par les exploits des « moudjahidine »
(combattants) et des « chouhada » (martyrs) de la
guerre de Libération.
Cette identité, solidement
implantée dans les esprits, est mise en péril par l’appartenance à la « Oumma »
(la communauté musulmane) à laquelle se réfèrent en permanence le mode de
pensée de la dissidence armée islamiste et de ses soutiens endogènes et
exogènes qui s’approprieront la même terminologie guerrière.
Dans ce nouvel univers bouillonnant,
dont les prémices annonciatrices sont en gestation dans la société algérienne
depuis les premières années de l’accession au pouvoir du président Chadli (qui
se retirera en janvier 1992), la résilience, concept polysémique (empruntée ici
à la littérature de la psychologie et de la psychiatrie) se définit comme la
capacité « à
absorber une perturbation, à se réorganiser, et à continuer de fonctionner de
la même manière qu’avant »
les traumatismes psychologiques et les effets sociétaux induits par les
pillages, les saccages, les ravages, les barrages routiers, les agressions, les
tueries, les massacres génocidaires de villages et autres ilots d’habitat, les
vols et les viols qui submergeront le territoire algérien au cours des mois et
années succédant à la médaille de vermeil
olympique remportée par Hassiba aux jeux olympiques de Barcelone (1992) et durant
les deux olympiades suivantes.
Pour l’Etat souverain d’Algérie, résistant aux assauts et coups de
butoir portés par les « mains étrangères » orientale et
occidentale, l’emblème porté par celle qui devient une héroïne permit de
continuer à faire vivre, survivre et rassembler les citoyens emportés par
l’horreur démentielle.
De ce duo (Boulmerka-Morceli),
porteur de lumières et d’espoirs multiples, dans un climat désespérant dans
lequel s’expriment essentiellement les terreurs difficilement oubliées et
sublimées depuis la fin de la Guerre de Libération, c’est Hassiba Boulmerka qui
fut mise aux premiers rangs, qui fut la Passionaria, l’égérie de cette époque
troublée.
Pour les « Patriotes », les « hommes
debout », elle fut en quelque sorte une nouvelle représentation de
la Kahina ou de Lalla Fatma N’Soumer qui, en d’autres temps plus cléments,
avaient été remisées dans les limbes de l’oubli. Hassiba, comme la « Pucelle
d’Orléans », réunit les forces vives du pays, la résistance à
l’aliénation.
Hassiba Boulmerka fut le phare
éclairant d’un pouvoir à dominante sécuritaire, à la recherche d’une crédibilité
interne et internationale. Elle fut alors le contrepoids médiatique au slogan,
prétendument neutre, du « qui tue qui » envahissant,
plus que de raison, les colonnes d’une presse internationale impudiquement
alliée à ce leitmotiv et à cette idéologie ensanglantant le pays au nom d’une
démocratie « sacrilège » encapuchonnée dans les discours sirupeux du califat qui en profita
pour implanter ses bases arrières et préparer ses futurs champs de bataille en
territoires de chrétienté.
La jeune musulmane, courant en
short, renversant les nouveaux tabous, devançant ses rivales essentiellement
européennes, illustrait parfaitement le message de modernité opposé à l’obscurantisme
rétrograde de ces Autres, barbus armés et à leurs alliés libéraux d’Occident,
adversaires des anciens « Non-Alignés », devenus
nations en voie de développement, exprimant une rhétorique à combattre sans
rémission, celle des années 1970 à la
vie dure.
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