mercredi 17 août 2016

Sid Ali Boudina (Aviron), Les raisons d’une retraite (sportive) prématurée

S
id Ali Boudina a été notre représentant aux jeux olympiques de Rio de Janeiro dans une discipline que l’on ne connait pas (ou si peu) et à laquelle on n’accorde habituellement pas d’intérêt. Pour ne pas dire autre chose !  C’est en effet un sport qui n’est pas médiatisé si ce n’est pendant le déroulement des grands événements sportifs (les jeux olympiques en sont le plus grand) ceux qui sont retransmis par les caméras des chaines de télévisions planétaires à un moment où la retransmission ne coûte pas ces sommes folles que demandent les acquéreurs habituels des droits télévisées que sont en premier lieu les Qataris, premiers investisseurs dans le secteur de la communication. Un sport que l’on regarde d’un œil distrait avant de zapper, d’aller voir d’autres disciplines sportives qui font partie de notre espace cognitif : L’aviron.
Sid Ali Boudina est sorti de la pénombre (l’obscurité serait sans doute le terme le plus adéquat pour décrire la situation  dans laquelle il se meut habituellement) pour une raison toute simple et ô combien incroyable. L’agence nationale de presse a annoncé, juste après son élimination aux quarts de finale que le champion ignoré de tous, ce rameur dans cette légère embarcation qu’est le skiff, prendra sa retraite internationale après une dernière participation sous le maillot national lors des prochains championnats d’Afrique.
On raconte aussi de-ci de-là (c’est-à-dire sur les réseaux sociaux) qu’il a été mis dans l’obligation de faire l’impasse sur les championnats du monde (qui débuteront 20 août) car à cette date-là il sera encore à Rio attendant le décollage de l’avion spécial qui ramènera la délégation algérienne sur Alger. On ne sait (en fait on s’en doute un peu) pour quelle raison, le rameur n’a eu la possibilité, l’insigne avantage accordé à certains athlètes (Makhloufi, Keddar, Aït Salem) et certains entraîneurs (Mohamed Hocine) et dirigeants de fédération (Ammar Bouras) d’emprunter un vol commercial. Dans le paysage sportif algérien, l’aviron et Sid Ali Boudina ne compte guère.
Son talent, son exploit a été reconnu par nos experts au moment où il se retire sous la tente (comme le fit Achille, héros mythique grec de la guerre de Troie mis en valeur par Homère dans son poème épique l’Iliade à la mort de son ami Patrocle)  pour entamer une carrière professionnelle (sans doute reprendre d’’abord des études universitaires qu’il a délaissée à l’amorce de la troisième année) pour réaliser une autre carrière (sportive) honorablement remplie par cet exploit que fut la qualification pour ces quarts de finale. Un exploit qui en font, alors qu’il exprime un malaise existentiel profondément ressenti, un héros national (dans la discipline) puisque ce stade n’avait (dit-on) jamais été atteint par ces prédécesseurs. A son actif également, selon ses supporters (ses parents et proches) très actifs sur les réseaux sociaux, une très belle place en finale "A" de la dernière coupe du monde de ce sport. Une donnée qu’il confirma dans la déclaration recueillie par l’agence de presse nationale.
Sa coéquipière, dans le même sport, dans la même épreuve mais chez les dames, Amina Rouba a réussi un exploit de même dimension tout en passant  (un exploit  à porter à son actif) totalement inaperçue. La pauvrette souffre de l’absence d’un fan club qui puisse se porter sa parole, son image sur Facebook et elle…..n’a pas pris sa retraite. Elle n’est citée que pour mieux accompagner l’information, le sujet principal. C’est certainement la facette machiste de la vision que l’on a dans les milieux médiatiques de la femme dans le sport algérien. Des médias qui ne les encensent que lorsqu’elles surpassent de très loin les sportifs de sexe masculin. Hassiba Boulmerka, Nouria Merah, Soraya Haddad, Baya Rahouli, Salima Souakri et, en des temps plus lointains, La Kahina, Fatma N’Soummer en sont les exemples les plus flagrant.
Les deux Algériens - bien qu’éliminés en quarts de finale, par un de ces aspects philosophiques inspirant les réglementations techniques que peuvent se permettre les disciplines sportives en retrait médiatique et à la participation réduite - restent en course jusqu’à la fin des compétitions puisque participant à des épreuves de classement (demi-finales C et D) épargnant par leurs désignations les egos et les réputations des uns et des autres. Ils auront participé à autant de tours de compétitions que les médaillés et les finaliste A.
A première réflexion, le départ à la retraite (sportive) de Sid Ali Boudina est incompréhensible. A 26 ans, l’âge de la maturité sportive, Sid Ali a de beaux jours devant lui. Celui de redevenir à nouveau finaliste A dans les plus grandes compétitions de cette discipline. Nous avons vu que la possibilité de le faire cet année (après une préparation et quelques courses de haut niveau dans le cadre de ces jeux olympiques qu’il n’aurait sans doute jamais envisagé en d’autres circonstances) ne lui est pas offerte (ne pourrait-on pas dire qu’elle lui a été retirée, interdite ?) puisqu’il sera encore au village olympique.
Mais voilà, Sid Ali n’en peut plus. Après avoir délaissé ses études universitaires (deuxième année de « fac ») pour son projet sportif (participer à des compétitions de haut niveau), il s’est rendu compte que celui-ci n’avait que peu de chances d’aboutir avec les conditions de pratique actuelles.
A l’issue de son quart de finale du skiff individuel, disputé et perdu à l'"Estadio Lagoa",
Sid Ali Boudina, premier rameur de l’histoire sportive algérienne  à avoir atteint les quarts de finale olympiques pour sa première participation aux Jeux, a décidé de tourner la page et penser à son avenir : « Je vais certainement arrêter après les prochains championnats d’Afrique, c’est triste mais c’est comme ça. J’ai vraiment envie de faire le haut niveau mais les conditions ne me le permettent pas actuellement, donc je veux arrêter et penser à autre chose, notamment mon avenir ».
Sid Ali est conscient qu’il est dans la fleur de l’âge sportif. Il affirme au journaliste de l’APS que 26 ans, « c’est l’âge idéal pour progresser le plus dans cette discipline ». Mais, ajoute-t-il, avec une pointe de regret : « je n’ai plus 20 ans ». Un propos lourd de sens puisqu’il « faut penser à un moment donné à son avenir ».
La décision est, si l’on peut dire, collégiale ou du moins elle a été prise dans ce qui pourrait, à s’y méprendre, ressembler à un semblant de conseil de famille. C’est certain de l’approbation familiale qu’il dit : « mes parents sont d'accord avec ma décision d’arrêter la compétition parce qu’ils ont peur pour mon avenir ». Voilà des parents sensés qui ont accompagné leur enfant aussi loin, aussi longtemps qu’ils l’ont pu et qui ne veulent pas le laisser s’empêtrer dans une situation préjudiciable comme l’ont été tant de champions, de médaillés bernés par des promesses sans lendemain. Ses parents craignent la précarité sociale que mettent en avant des judokas et des boxeurs. La précarité des lendemains incertains.
Cependant, cette décision surprenante ne l’ait pas autant que l’on voudrait nous le faire croire. En effet, avant le déplacement à Rio, il s’était entretenu avec les responsables de la fédération (au sujet desquels il dit qu’ils l’ont beaucoup aidé en particulier en l’autorisant à passer une année à s’entraîner en France, à Toulouse, une explication plausible et réaliste à l’année universitaire sabbatique) et qu’ils auraient convenu d’en reparler à nouveau après les jeux.

 Sid Ali croit en lui. Il se serait bien vu conquérir une médaille aux championnats du monde. Mais, il a conscience aussi que la politique « entreprise (…) est beaucoup plus dirigée vers les compétitions continentales et régionales (Afrique et arabe) » et que pour lui, dont les ambitions sont plus élevés que ces objectifs, il sera très difficile d’obtenir les conditions lui permettant d’évoluer au niveau désiré. Ses objectifs, ses ambitions ne sont pas en phase avec ceux des instances sportives nationales. Dans de telles conditions autant se retirer en beauté d’abord en se classant parmi les 18 meilleurs aux JO puis avec un titre africain.

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