mardi 22 mars 2016

Jeunes talents (5), La « carte gagnante » de Hassiba

L
es années 80 dévoilèrent les futures icones nationales (Hassiba Boulmerka et Noureddine Morceli) malheureusement en ce temps-là totalement transparents. Depuis les exploits de 82 et de 86 (qualifications aux Coupes du monde) le football phagocytait (plus que par le passé) la presse nationale,  éditée par des entreprises gouvernementales. En 1988, lorsque se présenta le tournant de leurs carrières sportives, ce n’étaient que deux noms peu connus en dehors de la « famille de l’athlétisme » en autarcie, repliée sur elle-même, n’émergeant du néant qu’à l’occasion de quelques victoires internationales retentissantes des coureurs de demi-fond (Abderrahmane Morceli, Amar Brahmia, Rachid Kram, Aidat), de demi-fond long et de cross-country (Ahcène Babaci, Boualem Rahoui, Rachid Habchaoui, Hachemi Abdenouz), de courses sur routes (Abdelmagid Mada, Allaoua Khellil).
Hassiba Boulmerka, l’idole des idoles, dépassa en notoriété les footballeurs les plus adulés (Belloumi, Madjer). Elle apparut à un moment critique de l’Histoire du pays. Dans une période  où celui-ci était au ban des nations, confronté à une véritable guerre civile menée par des islamistes confortés dans leurs actions par les pays de l’Occident démocrate ne saisissant pas encore la portées de la prétendue opposition politique revendiquée. En ces temps plus que difficiles pour la population algérienne, Hassiba Boulmerka était (par le simple fait de courir, de remporter des victoires à l’international et la conquête de titres et médailles mondiales et olympiques) le symbole de la résistance à l’Islam obscurantiste.
Hassiba a grandi dans le lotissement populaire de « Dallas » le malicieusement nommé. Elle sut saisir la « carte gagnante » qui lui fut proposée par Ammar Bouras, l’entraineur national de demi-fond, après qu’elle eut remporté deux titres (800 et 1 500 mètres) aux championnats d’Afrique d’athlétisme d’Annaba. Des succès qui se prolongèrent quelques mois plus tard (toujours sur les mêmes distances) avec une participation aux demi-finales des jeux olympiques de Séoul. Des performances et des résultats qu’elle n’aurait pu atteindre sans avoir été couvée (comme sa propre fille) par  son entraîneur (et enseignant d’EPS au CEM) Abboud Labed et par le directeur de l’ENDVP (ex-Sonacome). Hassiba avait 20 ans quand elle quitta Labed.
Abboud Labed (3ème degré, spécialité sauts) savait mettre en valeur les capacités des demoiselles. C’était dans la découverte des potentiels et leur développement un second Grabsi Cherif. Ils formaient un duo sans pareil. Une sorte de « Tom et Jerry » de l’athlétisme constantinois.  Labed fit découvrir Sakina Boutamine et Hassiba Boulmerka, les plus belles perles de sa collection de championnes. La première fut championne d’Afrique du 800 et du 1 500, sélectionnée pour les jeux olympiques de 1976. Elle  était arrivée de Chekfa, un petit village de la région de Jijel. Elle tira sa révérence à la veille des jeux olympiques de Moscou (1980). Elle était là présente dans les compétitions internationales lorsque, malgré les résultats probants de l’époque, l’athlétisme restait confidentiels et qu’elle était l’idole, la référence de toute une génération. Avant qu’elle ne passe le flambeau à Hassiba en restant au service de la discipline au micro de la Chaine 1.
 Dans cette évocation de jeunes talents, nous nous devons  citer dans le harem labedien - il fut spécialisé dans l’athlétisme féminin par Youcef Boulfelfel, un des premiers décathlonien algérien de valeur (dans les années 60), devenu président de la ligue (années 70) et enseignant à l’université de Constantine -  le raté fracassant de Djeblahi Saliha, plus jeune que Hassiba. Une enfant née et habitant également une cité populaire voisine de « Dallas », une cité de recasement sise à  El Gemmas dont les baraques  préfabriquées ressemblent étrangement à celles édifiées à Chlef,  reconstruction de l’El  Asnam dévastée par un tremblement de terre.
Djeblahi, comme Hassiba et Saidi Sief,  a été une adolescente entrée trop tôt dans la vie active. Mais, contrairement à Boulmerka qui quitta son mentor à l’âge de 20 ans, Djeblahi, qui aurait pu (du ?) succéder à Yasmina Azzizi sur les épreuves combinées, rentra définitivement chez ses parents à l’âge de 19 ans. Elle n’avait pas su saisir sa chance. Un geste malheureux (une main trop leste, un chapardage dans une grande surface espagnole dit-on) que ne peuvent commettre que ceux (et celles) qui sont passés trop vite (sans être réellement accompagnés par des techniciens du sport ayant délaissé l’habit d’éducateurs pour celui de chasseurs de primes) de la misère, de la quasi-indigence quotidienne à l’abondance et l’opulence offerte sans surveillance physique. Comme d’autres athlètes rejetées rapidement par le système, elle n’avait pu maitriser la transition (éblouie par le chant que les sirènes algéroises serinaient à ses oreilles) qu’aurait pu lui assurer sa famille et son milieu naturel en cette période délicate de l’existence.


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