Sans en avoir conscience, le fil
de la pensée, le cours des évènements, les associations d’idées qui font le
bonheur des psychologues et des psychanalystes , ces liens et sauts qu’ils
adorent écouter dans le cadre de leurs consultations, lorsque le patient est
allongé au divan intimement lié à l’image que nous avons d’eux et à l’exercice
de leurs activités, nous imposent de sauter
quelques mois pour arriver au présent…récent.
Il y a quelques jours, pendant le
déroulement des épreuves d’athlétisme figurant au programme des jeux
olympiques, un ami Facebook, ancien entraîneur de l’élite, évincé, avons-nous compris, par la DTN, a utilisé une fonction (que nous avons découverte et que nous ne maîtrisons pas)
permettant de se parler au lieu d’échanger de « shorts messages ».
Il nous surpris, dès l’entame de
la discussion, en parlant de « Boudemagh, oualid bladek
(l’enfant de ton patelin)». Nous associant à un Boudemagh que nous n’avons pas dans
notre environnement. De plus, de notre bled où ce type de patronyme n’est pas
usité.
Dans notre conception, « le
bled » c’est notre "douar" d’origine,
celui où nous plongeons nos racines, ce village de montagne inscrit dans l’histoire
de la Révolution pour avoir abrité le Congrès de la Soummam et bien avant
pour avoir combattu les colonnes armées des envahisseurs ayant remonté « La
Vallée » (celle de l’Oued Soummam): Ifri-Ouzellaguen.
Nous ne nierons certainement pas
que Constantine, capitale des fiers Numides de Massinissa, de cette immense région
qui donna des cavaliers à Hannibal "le Carthaginois" lors de la
bataille de Zama ou des troupes à Tarek Ibn Zyad qui brûla ses navires après
avoir franchi le détroit de Gibraltar, participe également (en tant que ville
d’adoption depuis une quarantaine d’années) de notre construction identitaire.
Mais certainement pas cette
Constantine que l’on glorifie en tant
que "capitale" romaine, arabe ou ottomane ou point de chute de de la
diaspora mauresque (populations arabo-musulmane et hébraïque repoussées par la
Reconquista de la terre andalouse des 15ème et 16ème siècles, par les armées d’Isabelle la
catholique et du roi Ferdinand (sur ce point précis, lire la chronique « n°120.
" Taïhoudite", Le CSC pris dans l'engrenage », 29
août 2015).
Nous sentirions il est vrai plus
proche d’Ain Abid, ville meurtrie dans sa chair par les événements du 20 août
1955 que l’on célèbre lors de la « journée du Moudjahid » associant
les deux 20 août (1955 et 1956).
C’était notre premier entretien
disons téléphonique via Facebook ou ses appendices. Après les explications de notre
interlocuteur, nous identifiâmes « Boudemagh » comme
étant Amar Bouras.
« Boudemagh »
et « Bouras », dans la sphère de la linguistique et de
l’histoire du pays s’intéressant à la construction des patronymes, renvoient à
la fin du 19ème siècle (vers
1890, en fonction de la pénétration coloniale à l’intérieur du pays profond). Jusqu’à cette période, correspondant à la
mise en place des registres d’Etat civil par l’administration française, les
noms ont été une succession de prénoms entre lesquels s’intercalaient des
« ibn » et des « ben » donnant des
patronymes à la longueur démesurée comme on peut encore le voir dans le système
de (dé)nomination en cours au sein des nations du Moyen Orient.
Chez nous, pour différentes
raisons qu’il serait long d’expliquer ici (mais dans lequel prédomine l’idée
d’humiliation d’une population certes vaincue militairement mais encore résistante à l’avancée coloniale),
le processus d’attribution des noms, par l’administrateur et son aide local (le
caïd ou le garde-champêtre), s’est appuyé sur des particularités physiques et
intellectuelles, sur des diminutifs, sur des surnoms, sur des travers ou
l’exercice d’un métier ou d’une fonction sociale.
Nous avons ainsi la série des « Ben »
suivi d’un particularisme comme dans Benmerabet qui est le « fils du
marabout » (merabet ou m’rabet en « daridja »,
dans ce « maghribi » - un mot que nous devons au sociolinguiste
algérien de Tlemcen, Abdou Elimam - qui serait la fusion des différentes
langues qui ont eu cours sur le territoire nord-africain (l’amazigh, le sanscrit,
le phénicien, le punique en y ajoutant le grec, le romain, l’arabe, le turc,
etc.).
Le « Bouras »
et le « Boudemagh » seraient ainsi le « père »,
le « propriétaire de la tête » qui, selon le cas, aurait
deux dimensions, « petite » ou « grosse ».
Nous noterons que « demagh », toujours en arabe
dialectal, est « une tête d’animal », une tête de
mouton ou de veau. Une de celles que l’on cuisine merveilleusement bien dans
les restaurants des vieilles villes et dans les restaurants à la portée de la
bourse des plus démunis.
Ce surnom (Boudemagh), dans le
ton et dans le contexte du moment où il a été utilisé avait donc une connotation
péjorative et dépréciative, porteuse du peu de considération portée à celui
qu’il désigne tout en étant un met apprécié.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire