lundi 5 octobre 2015

Point de vue d’expert, Trois tests ne suffisent pas


L’ « affaire de dopage Paula Radcliffe » dévoilée par un parlementaire britannique s’appuie su trois tests qui  présenteraient des valeurs anormales ayant autorisé certains à mettre en cause l’athlète dans des pratiques interdites par le code d’éthique sportive. Les experts, dont les interprétations ne sont pas tranchées, affirment que des données complètes doivent être fournies pour être analysées et interpréter. Les résultats des trois tests douteux que s’est procurés le journal Sky News et qui ont mis Paula Radcliffe au cœur du scandale du dopage ne sont pas en eux-mêmes probants. Tous les spécialistes de l’anti dopage admettent attendre avec impatience ces données.

Un site français d’informations spécialisé en athlétisme a interrogé l’expert français Pierre Sallet qui explique les méthodes utilisées (Off score et On score), en fait un historique, en présente les forces et les faiblesses. Il rappelle qu’au début des années 2000, les experts et les structures de lutte contre le dopage avaient pris acte que « certaines molécules n’étaient pas détectables dans les tests » et que pour contrer le problème du dopage, l’UCI (fédération internationale de cyclisme) a mis en place des mesures dites de « santé ». Celles-ci consistant, par exemple, a déclaré inapte un cycliste affichant un taux supérieur à 50% d’hématocrite.
Méthodes d’analyses des résultats
Il remarque aussi que « des modèles mathématiques plus poussés se sont développés, pour lier EPO circulaire, Hémoglobine, Transferring » et que le chercheur Michael Ashenden (informateur maintenant dans les reportages diffusés par ARD et publiés par le Sunday Times) a publié « un modèle liant l’hémoglobine et la réticulote, dans une équation mathématique, et décrit le ON Score et le OFF Score. Le ON Score correspond à la prise d’EPO, l’hématocrite augmente. Le OFF Score : on ne prend plus d’EPO, l’hématocrite diminue, c’est ce qu’on appelle le ₺ Wash Out₺ ».
Pierre Sallet constate aussi que le concept d’OFF Score a été repris par plusieurs fédérations sportives pour leur politique de santé et que pour l’UCI, un OFF Score supérieur à 100 provoquait une exclusion. Il note aussi que «  chaque fédération pouvait adopter sa propre norme » et que « l’IAAF (fédération internationale d’athlétisme) n’a jamais pratiqué la politique de santé». La conclusion à tirer est que du point de l’athlétisme les résultats de cette méthode ne sont pas recevables et donc ne peuvent pas conduire à des sanctions.
Les interprétations du Test OFF Score
La méthode du test OFF score ne serait pas une méthode sure. Pierre Sellet indique qu’« il existe plein de raisons autres que le dopage pour dépasser les seuils du OFF Score. C’est le problème des faux positifs et des faux négatifs ». Revenant à l’analyse de l’hématocrite, il note que « le taux de 50% n’est pas atteint par des personnes qui se dopent : avec l’EPO, ils vont monter à 49%, et pourtant ils seront négatifs. D’autres dépassent les 50%, j’en connais qui sont toujours à 52-53, et qui ne prennent rien ! ».
De son point de vue, il en est de même pour le OFF Score. A ce sujet, il dit qu’ « avec ce repère, on se retrouve avec de faux positifs, et de faux négatifs. L’altitude par exemple peut faire basculer vers le OFF Score ».
Comme si cela ne suffisait pas pour atténuer le niveau de certitude, il fait valoir un autre problème qui est celui de la marge d’erreur importante qui serait de l’ordre de 1 sur 100. Il affirme que « c’est énorme à considérer que pour le test hormone de croissance, le taux de faux positif est seulement de 1 pour 10.000 ».
Pour cet expert, « on ne peut pas utiliser ces résultats comme des tests. Ces résultats pris isolément ne veulent rien dire ». C’est pour cela qu’il considère que « les tests publiés par Mo Farah ou Robert Harting ne signifient rien. Un bon score ne veut rien dire, et un score élevé non plus. Par exemple pour l’hématocrite, l’UCI a fixé la limité à 47, on voit des sportifs shootés et affichant 45, et d’autres normaux à 48 ». Toujours la référence à l’hématocrite.
Depuis le début du millénaire, la lutte antidopage a fait des progrès ce qui incite à affirmer que s’appuyer sur « des références isolées correspond à la lutte anti dopage d’il y a 15 ans. Maintenant, nous disposons d’autres outils, beaucoup de modèles fonctionnent et permettent de savoir si le sportif est propre ou pas ». Selon ses déclarations, ces modèles « ne sont pas faits pour sanctionner comme l’est le passeport biologique » mais donnent simplement des résultats. Il ajoute pour faire bonne mesure que « pour les utiliser, il faut les profils sanguins complets des sportifs».
La question de l’altitude
Trois tests de Paula Radcliffe seraient à considérer comme douteux. Leurs mesures sont, selon Sky News,  de 114.86 – 109.86 – 109.3. Pour certains experts , un résultat supérieur à 103 serait à considérer comme anormal. Mais, selon une étude publiée en 2003 par Michael Ashenden (le chercheur informateur d’ARD et du Sunday Times) une marque de 111.7 serait normale pour une athlète femme s’entraînant en altitude.  On voit donc l’importance de l’écart entre 103 et 111.7.
Selon Ashenden, un seul test serait douteux, celui de 114.86. Paula Radcliffe l’estime invalide en raison des circonstances entourant sa collecte qui aurait eu lieu  après un semi-marathon au Portugal couru sous une température de 29 degrés centigrades, et immédiatement après l’arrivée (alors qu’il est maintenant admis qu’un délai de 2 heures doit être respecté pour plus de fiabilité).
Pierre Sallet analysant l’argument de  Paula Radcliffe (les valeurs des off Score seraient plus élevées car elle s’entraînait en altitude) remarque que « c’est vrai que l’altitude impacte, et produit les mêmes effets que l’EPO, mais plus rapidement. Disons qu’on atteint les mêmes états finaux après une semaine d’EPO qu’après 4 semaines en altitude » avant de déclarer que « toutefois, ce n’est pas une justification totale».
L’autotransfusion
Paula Radcliffe aurait eu recours à l’auto transfusion. Cette rumeur n’est pas nouvelle. Elle a été souvent entendue après ses records du monde et surtout après celui qui l’a vu réalisé 2 heures 15 minutes. La question posée à Pierre Sallet est de savoir si elle peut être détectée à travers les prélèvements effectués.
Sa réponse est « L’auto transfusion peut être vue dans les prélèvements ». Il explique avoir  travaillé en 2008 sur un protocole sur l’auto transfusion pour tenter de déterminer le gain d’hématocrite obtenu par l’auto transfusion par rapport à ce qui est obtenu par l’entraînement en altitude.  Après avoir  disséqué toutes les études réalisées et fait des tests il a abouti à la conclusion « que dans le cas d’une variation supérieure à 4% en 15 jours de la valeur de l’hémoglobine, on peut conclure à une auto transfusion. C’est implacable. On utilise souvent cette méthode en « off » pour savoir si quelqu’un pratique l’auto transfusion. »
Les données de Paula Radcliffe
Pierre Sallet avoue que Paula Radcliffe fait partie des « cas » qui attirent l’intérêt  des spécialistes de l’anti-dopage mais qu’il ne peut donner son intime conviction qui,  sur ce cas, « se doit de demeurer secrète ». Il conjecture que les chercheurs sont nombreux « à souhaiter pouvoir disposer de tous ses profils pour les disséquer avec les nombreuses méthodes mathématiques qui existent, en plus du passeport biologique » dont, rappelle-t-il, qu’il est le seul repère admis pour une éventuelle suspension.
Il souligne l’existence de « 3 ou 4 modèles qui peuvent s’allumer à l’analyse des données » et qu’il « serait bien de disposer des profils de Paula Radcliffe. Si elle est une victime de la désinformation, nous serons contents de le prouver. ».
Un expert américain de la lutte anti-dopage, Ross Tucker souligne lui aussi auprès de Lets’Run, que certaines explications de Paula Radcliffe paraissent convaincantes mais qu’il est indispensable que l’ensemble des données la concernant soient disponibles à la communauté de l’anti-dopage pour des analyses approfondies.
Mais, Paula Radcliffe refuse de fournir les prélèvements effectués durant sa carrière. Ainsi qu’elle l’a déclaré à Sky News elle n’a « rien à prouver. Je suis propre». La presse internationale se plait à rappeler que durant toute sa carrière marqué par sa croisade anti-dopage, elle avait toujours promis de conserver disponible ses échantillons de sang pour toute analyse dans le futur.
Nos confrères se demandent donc, avec une certaine pertinence, pourquoi aujourd’hui elle est revenue sur les promesses faites. Ils prédisent aussi qu’elle pourrait être dépassée par la suite des évènements. Pierre Sallet souligne à ce propos que ses données ne sont pas conservées que par l’IAAF. Elles peuvent être en possession de personnes qui pourraient les divulguer publiquement avec le risque d’un très gros scandale à la clef.

Sur ce plan, les journalistes et les experts français n’ont pas tort. On se souvient que cet été, en pleine polémique de dopage pharmaceutique et mécanique (suspicion d’utilisation d’un moteur électrique sur le vélo de certains coureurs du Tour de France cycliste), des fichiers informatiques avaient été piratées sur le disque dur de l’équipe de Christopher Froome (un autre Britannique) et que celles de ce coureur (déjà vainqueur de la course et leader au moment des faits) avaient été publiées dans la presse.   

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