samedi 11 février 2017

David Torrence (4), La mission civilisatrice du néo-péruvien

Dans le discours du nouveau citoyen péruvien perce la vocation civilisatrice qui a accompagné, sublimé ses colonialistes européens. Cette vocation se traduit par un questionnement supposé être celui de ses nouveaux compatriotes stupéfaits de le voir courir avec les athlètes des autres nations: « Qui est ce? », « Je ne savais pas que les gens pouvaient courir sur un stade ! », « je ne savais pas que cela faisait  partie des Jeux ! ».

Inconsciemment, car cela fait partie de son « Moi » américain (celui que n’a pu pourtant lui léguer son père décédé  prématurément et qui fait partie des stéréotypes de la société américaine), il reprend le bon vieux discours du « sauvage », celui popularisé par les ouvrages littéraires (et philosophiques) du 17ème siècle  de Defoe, Rousseau et le Voltaire sarcastique  et surtout du 19ème siècle que l’on mit dans la bouche des Mayas, Incas et autres Amérindiens au débarquement des Conquistadores au 16ème  siècle.

Dans cette série de questions, les idées préconçues d’un américano-péruvien, de la partie américaine de sa personnalité sont en place. On les retrouve aussi dans cette réduction cognitive que l’on trouve dans les idéologies présentes dans l’esprit de beaucoup de membres de nations prétendument civilisées, technologiquement modernes: « ils ne regardent que le marathon et 10 kilomètres, deux épreuves qui sont vraiment connues là - bas, deux courses qui font partie de la culture ». Un sentiment de supériorité vivifié par cette autre déclaration : « ma seule présence, nous l'espérons, permettra d’introduire un changement ». Comme si la télévision et les NTIC ne faisaient pas partie de leur univers.

On ne sait, à vrai dire, si ce sont les pensées de David Torrence ou celles du journaliste qui transparaissent. Mais, comme il s’agit d’une interview destinée à un lectorat américain, nous sommes censés croire que ce sont les propos de David Torrence, dont le prénom est prémonitoire.

Doit-on condamner l’ensemble des propos tenus. Sans doute pas lorsqu’il s’agit de noter le « grand, grand décalage entre non seulement le Pérou, mais l'Amérique du Sud dans son ensemble et le côté courant de ce sport ».  Encore moins lorsqu’il se (et nous) questionne en se demandant « combien de fois avons-nous vu des athlètes d’Amérique du Sud concurrencer ceux des États -Unis ou d’Europe? ». Le constat est lucide lorsqu’il affirme que  « vous ne les voyez jamais dans les meetings de la "Diamond League" ou dans les très gros "invitationals meetings" ».  La visibilité internationale des athlètes sud-américains est portée au chapitre, mise en exergue.

Sa mission, celle qu’il s’est attribuée, est de « combler cette lacune » en leur permettant de réaliser des performances de niveau mondial et de les introduire dans ce genre de rencontres sportives. L’aspect linguistique (« ils ne parlent que l'espagnol ») est aussi relevé. La méconnaissance de l’anglais (langue universellement parlée) leur interdirait  toutes relations avec les meetings organisés aux Etats Unis, avec les circuits canadien, belge, etc. Sa connaissance du milieu athlétique, son bilinguisme seraient, pour les athlètes péruviens, des atouts qui leur permettraient d’y prendre part et de se voir offrir des possibilités qu’ils ne pouvaient auparavant envisager.

Il prévoit également de partager ses connaissances en matière d’entraînement. « Quand je me suis entraîné là - bas, dit-il, j’ai vu que ces gars sont super, super-talentueux. Et je sais qu'ils peuvent être de classe mondiale ». Puisque c’est lui qui le dit, lui qui vient d’une nation qui domine formidablement le sport mondial, cela doit vrai.

Son espoir est d’« aller là - bas avec mes connaissances et mon savoir-faire pour leur organiser des camps d’entrainement aux  Etats - Unis et quelques-uns  au Pérou ».  Ses références ne peuvent être qu’américaines alors que ses nouveaux compatriotes sportifs ne connaissent pas les hauts lieux de l’entraînement aux Etats Unis, ne « sont jamais allés à Flagstaff, ils ne sont jamais allés à Park City ou nulle part ailleurs ». Ils ne s’entraînent qu’au Pérou, repliés sur eux-mêmes. David Torrence leur apportera l’ouverture sur le monde, la technologie de la course à pied.


Son raisonnement, quelque part, tient la route. Faire partie des meilleurs athlètes impliquerait de voyager à travers le monde, de s’entraîner partout. Sinon, on s’installe dans la monotonie et la routine qui sont préjudiciables au progrès.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire